Paradoxalement, Tadhg trouvait en la salle du banquet de Poudlard un lieu, ou plutôt une atmosphère, nettement plus désagréable que la gare de Pré-au-Lard, en dépit de l’épais brouillard qui s’y était figé. Les teintes grises et blanches plutôt que les dorures, le froid des quais plutôt que la chaleur de la salle trop remplie, et le silence feutré de la brume plutôt que d’entendre une énième fois le stupide chant égosillé du vieux Choixpeau à propos des quatre illustres maisons de Poudlard – encore une idée à la con des sorciers (il n’avait pas retenu un roulement d’yeux exaspéré arrivé à la moitié). Lors de l’évacuation, Tadhg avait accueilli les élèves avec beaucoup de calme, comme si le décor sinistre et les menaces qui flottaient au-dessus de cette rentrée ne l’affectaient pas le moins du monde. Ou comme si, à la place de manifestations de stress, elles faisaient émaner de lui une apparence de tranquillité et de maîtrise. Chacun avait sa manière de s’éloigner de ses constantes dans ces situations particulière, et une douceur inaccoutumée s’était logée dans sa voix au moment de présenter aux nouveaux étudiants (et notamment aux nés non-maj parmi eux) le fonctionnement des Porte-au-loin – une douceur qui s’était évaporée lorsqu’il a fallu rappeler à l’ordre certains adolescents, comme ces trois Poufsouffles qui avaient tenté de filer chez Honeydukes faire un plein de sucreries (fallait pas déconner non plus.)

La cérémonie de rentrée et ses traditions éculées lui portèrent nettement plus rapidement sur les nerfs. Littéralement, puisque les effets de son maléfice chronique de paralysis mortus s’étaient amplifiés très peu de temps après qu’il ait fait voyager son dernier groupe d’élèves. Il sentait des courants douloureux traverser la partie supérieure droite de son dos pour se diffuser ensuite tout le long de son bras, également engourdi, et remonter dans sa nuque et débuter une migraine. L’irlandais aurait pu commencer à croire qu’il y avait une composante psychosomatique dans cette connerie de sortilège, mais il préférait penser que le brouillard aggravait la situation avec un léger temps de retard – il avait déjà pu constater des réactions similaires pendant les mois d’été. Autant dire qu’il n’était pas vraiment d’humeur propice aux longues discussions et au small talk de politesse. (Mais ça allait quand même, après tout, il n’avait vexé qu’un seul collègue avant de s’installer à la table des professeurs, et il s’était contenté d’un regard glacial accompagné d’un soupir de mépris venu du fond du cœur et d’un « dégage » lorsqu’un autre professeur lui mit un steak sous le nez alors que cela ne faisait qu’un an qu’il savait que Tadhg était vegan et ce n’était pas plus amusant que les x premières fois.)

En dehors de ces petites altercations, la découverte (de loin) de nouveaux profs, et quelques salutations (de loin aussi) à des collègues qu'il appréciait comme Teddy ou Gillian, la répartition en elle-même, Tadhg l’avait suivie d’une oreille très distraite, ne s’intéressant vraiment qu’à deux événements. Le premier était évidemment la répartition de sa nièce, Géileis Quinn-Carreira, qui avait été envoyée à Serdaigle. (Autant il était très heureux de l’avoir à proximité, autant il s’interrogeait sur le résultat quand elle se retrouverait dans sa salle de cours, l’enfant n’ayant clairement aucun mal à lui tenir tête – ce qui en soit était déjà rare- et en plus, elle devait déjà connaître au moins la moitié du programme de l’année). L’autre étant la surprenante présence de Saga Thorvald. Saga, c’était cette adolescente vive et singulière (particulièrement mature aussi) qu’il avait rencontré dans les couloirs du service des maléfices magiques longue durée de Sainte-Mangouste. Les heures étaient souvent longues et vides dans les services hospitaliers, surtout quand on les fréquentait aussi souvent qu’eux, et clairement, elles l’avaient été un peu moins dès lors qu’ils avaient noué une forme d’amitié aussi d’apparence aussi bancale que leurs corps, et qui en pratique s’était imposée naturellement, entre beaucoup de discussions, solidarités de patients et, avouons-le, quelques transplanages d’escorte pour changer d’air. Tadhg adorait cette gamine, et cela se voyait dans le sourire qui apparut spontanément sur son visage lorsque leurs regards se croisèrent. Il aurait bien entamé une discussion avec elle -déjà pour prendre des nouvelles, ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus, mais aussi pour comprendre pour quelle raison elle se trouvait désormais scolarisée ici- mais clairement, ce n’était pas le moment (les raisons se trouvaient à la pelle, entre le cérémonial parfaitement huilé et hiérarchisé des cérémonies de Poudlard et le fait que l’intégration de nouveaux élèves n’étaient absolument pas aidée par leur lien avec les profs de manière générale). Il se contenta de lui adresser un signe discret dans une sorte de langage de communication à distance qui s’était formé dans le service maléfice longue durée (en premier lieu pour échanger avec les sorciers incapables de parler), une sorte de question télégraphique « ok ? », qui avait son utilité quotidienne.

Après cette répartition, Tadhg engagea une conversation avec Neville Londubat, avant et après la répartition. Ils se connaissaient depuis l’adolescence et avait une certaine estime mutuelle, voire amitié… et une expérience de Poudlard – leurs sept années dans le château ayant souvent davantage tenu du jeu de survie que de la scolarité – que finalement assez peu de personnes partageaient dans cette pièce.  Pour les plus professeurs plus jeunes, les menaces sur Poudlard tenaient plus du fait historique, et pour les générations antérieurs, comme Merrick, de l’exception plutôt que de la normalité. Les tonalités sombres apportées à cette rentrée par le dépôt de ce brouillard n’étaient pas sans agiter quelques spectres. Pour autant, si ces préoccupations étaient comme un sous-texte dans leurs dialogues, Neville et Tadhg échangèrent dans une conversation d’apparence détendue, abordant principalement des sujets quotidiens. Puis Neville s’adressa à de nouveaux professeurs pour les accueillir, et Tadhg vit glisser vers lui un plat de choux-fleurs recouvert de fromage, évacué par Perigine qui, jusqu’ici, était en pleine conspiration discussion stratégique avec Merrick. Le plat arrivant, l’irlandais se résigna à le réceptionner dans un geste absolument pas naturel (il aurait normalement dû l’attraper avec la main droite mais dans la situation actuelle, c’était la meilleure façon de simplement faire tomber le plat), pour ensuite le faire circuler de nouveau sans se poser de question (ce n’était même pas vegan…). Au lieu de cela, il balança une quantité généreuse d'aspirine dans son verre d'eau. Eva Perigrine n’avait visiblement pas plus apprécié l’événement que lui, comme le signalaient ces fréquents massages de crâne et cet air résolument blasé. Tadhg remarqua alors que la majorité des plats semblaient s’être concentrés autour des professeurs se trouvant vers sa droite, à l’opposé de Perigrine – encore une organisation parfaite.

« Bonsoir Eva » la salua Tadhg – ils n’avaient pas encore l’eu l’occasion de se parler plus tôt – « Besoin d'une aspirine? " proposa-t-il sur un ton évidemment blasé. n’hésitez pas si vous souhaitez accéder à l’un de ces plats sans avoir besoin de windgardium leviosa, si ça peut vous aider à faire passer le temps avant la fin de cette cérémonie… » (leur impatience partagée était assez transparente). « Vous avez des projets particuliers pour votre enseignement cette année ? » questionna-t-il en essayant d’engager une conversation normale avec sa collègue.

Spoiler: