ACAB-AAAB

De 7933915, depuis son domicile,
A numéro 2, Celui qui s’ennuie sur son pupitre

Tout cela est étrange.

Je sors assurément de ma zone de confort en répondant à une lettre comme celle que vous m’avez envoyée.

Vous, ou tu, je ne sais même pas encore comment me positionner. Vous comprendrez aisément que je suis partagée entre plusieurs sentiments contradictoires. La prudence d’abord, d’être destinataire d’une correspondance anonyme, signée de ce qui pourrait être un B, un K ou un T selon l’alphabet de Tripoli. La curiosité ensuite, puisque de toute évidence, ces quelques lignes m’ont rappelée à une époque que je pensais enterrée à tout jamais au fond de ma mémoire.

J’avais dès lors quatorze ans et en quatrième année, à Poudlard, lorsque j’ai lu sur mon pupitre, gravé d’une plume un peu maussade, ce « m’ennuie » qui ne pouvait que m’interpeler. Ceux qui s’ennuient en arithmancie sont nombreux, mais rares sont ceux qui vont l’employer pour exprimer leur frustration. Cela ne pouvait qu’être la marque d’un élève doué qui demandait à être davantage stimulé. Qui était cet élève, était-il plus jeune, plus âgé, je n’en savais rien. C’est peut-être la seule forme d’indiscipline dont j’ai fait preuve pendant ma scolarité : griffonner à mon tour sur cette petite table, et commencer un dialogue avec un élève inconnu. Je me souviens m’être entrainée au sortilège de dissimulation afin que ces écritures ne soient pas trop visibles pour notre professeur, à l’époque.

Il est vrai que lorsque le temps des présentations était venu, la fin de nos échanges avaient presque sonné. Je me rappelle l’excitation avec laquelle je me rendais en cours, pas seulement pour continuer mon apprentissage, mais pour découvrir et décrypter la nouvelle énigme chaque semaine sur ma table. Je me souviens du ton sarcastique et acerbe qui me faisait rire. Parfois je m’arrachais les cheveux à déchiffrer, mais lorsque j’avais terminé, j’étais obligée de contenir un éclat de rire. Je me rappelle avoir une fois eu les larmes aux yeux tant je dus me retenir, et j’avais griffonné rapidement quelques mots dans le dos de l’enseignant alors que nous en étions rendus à la fin du cours.

Je n’ai pas été déçue que notre échange cesse. A dire vrai, j’ai été très inquiète, et attristée pour une raison à laquelle vous n’avez pas pensé. Le dernier mot de ma part était la révélation de mon prénom, et comme vous l’avez rappelé, plus rien ne s’en est suivi. La vérité est simple : j’ai cru que vous aviez découvert qui j’étais, entre deux cours, et que la déception de connaître mon identité vous avait fait perdre le goût de ce petit jeu. Je n’étais pas des plus séduisantes à l’époque, et l’adolescence n’est pas la période de sa vie où l’on est nécessairement le plus beau. J’ai sincèrement cru que vous m’aviez aperçue et que ma vue vous avait dissuadé de poursuivre. J’avais dès lors d’énormes lunettes qui me mangeaient tout le visage, et j’étais plutôt connue comme une « petite intello » sans grand intérêt.  

Pour ma part je vous imaginais comme toute adolescente rêve un garçon plus âgé qu’elle qui lui titille le bout du cœur : sûr de lui et ténébreux. A quoi pense-t-on, quand on a quatorze ans.

Votre lettre m’inspire de la nostalgie. Vous m’avez replongée à une période de ma vie dont je gardais un souvenir éthéré, principalement axé sur la réussite scolaire. L’adolescente que j’étais, en revanche, je l’avais presque oubliée. Je me demande ce qu’il reste d’elle à l’heure où je vous parle.

Treize ans plus tard, ma curiosité se porte davantage sur le vrai vous que sur toute image fantasmée. J’ignore toujours votre prénom, votre visage, et même jusqu’à savoir si vous connaissez quelque chose de moi en dehors de la moitié de mon nom. Aussi me prêtai-je à ce nouveau jeu épistolaire sans oser trop en dire, puisque vous l’aurez compris, la prudence me conseille de rester sur mes gardes.

Peut-être me reconnaîtrez-vous pour de bon au travers de ces pudeurs. C’est la même qui m’empêche de tutoyer autrui facilement – savez-vous que je vouvoie même mon ami le plus proche ? C’est à pleurer.

Vous n’apprendrez qu’une seule chose à l’issue de ce courrier : que vous l’ayez déjà vue ou non, j’ai toujours sur le nez une horrible paire de lunettes. Mais vous qui connaissez l’arithmancie, vous comprendrez que l’on ne peut lire entre les lignes qu’avec un équipement convenable.

Que vous me répondiez ou non, j’aurai plaisir à lire quelques mots de vous à nouveau. Si cela vous amuse encore, et si cela vous permet de vous raccrocher, à votre tour, à quelque chose de votre passé que vous ne voulez pas voir filer entre vos doigts avant que l’âge ne s’en charge arbitrairement.

A bientôt, si vous le souhaitez.

PS : Votre hibou s’est régalé des croquettes que je lui ai servies le temps de vous écrire. J’ai cependant mal fermé le paquet et l’ai trouvé au fond du sac, le ventre bien tendu. J’espère qu’il ne sera pas malade....)

7933915

A K., Où qu'il se cache

Je suis désolée.

Aujourd'hui, je compare la date de votre dernière lettre avec celle où je prends ma plume pour vous répondre, et je ne peux qu'avoir honte. Ce délai est parfaitement indécent et je ne saurai prétexter les crises qu'a traversé le pays pour me cacher derrière. Cela serait déloyal envers vous, qui envisagiez, par surcroît,  un éventuel silence pour tout échos à votre texte pourtant bouleversant. Je vous ai donné raison pendant plus d'un an et n'ai aucune excuse.

Me pardonnerez-vous ? Déchirerez-vous ce parchemin dès qu'il sera entre vos mains ?

Renouer avec le passé peut être bien douloureux. Peut-être avez-vous réveillé une vieille douleur en nous replongeant dans ces souvenirs adolescents. Ne vous blâmez pas si cela vous venait à l'esprit : ce n'est et ne sera jamais de votre faute. Il m'est parfois difficile de mettre de l'ordre dans ma vie privée, à plus d'un titre. Il m'est plus aisé de me plonger dans le travail, l'arithmancie, et comme vous l'avez deviné, les enquêtes, pour oublier les tares qui me caractérisent.

Avez-vous remarqué que j'ai deviné la première lettre de votre prénom ? Soyez assuré que je n'ai pas triché : votre dernier indice m'a mise sur la voie. Le reste ne fut que déductions. Cependant je ne pousserai pas le vice à chercher le reste de votre nom, dans la mesure où vous ne m'avez consenti qu'une lettre. Vous demeurez un mystère pour moi tandis que je suis devenue concrète pour vous. Je me demande qui compte parmi vos amis au sein du personnel de Poudlard. L'hypothèse d'un intervenant extérieur au niveau des clubs ne peut être totalement exclue, non plus.

Si vous lire est certes une activité plus stimulante que la contemplation d'un visage donné, j'espère que vous comprendrez ma frustration de disposer de si peu d'informations vous concernant. Toutefois, ce sentiment ne supplante celui de peut-être vous avoir déjà croisé - ou recroisé ? - sans le savoir, par un jeu malicieux du destin. Si c'est arrivé, je me demande si vous avez fait preuve d'autant d'assurance que vous ne le faîtes dans vos écrits. D'aucuns y verraient de l'arrogance, moi j'y retrouve celui qui me faisait tant rire lorsque j'étais étudiante.

Je ne suis pas une vélane, et j'espère ne rien avoir de commun avec un troll, mais je ne vous imagine pas autrement : désespérément et heureusement humain. Vous m'aurez au moins concédé avoir les cheveux noirs, potentiellement mi-longs. Peut-être avez-vous beaucoup changé depuis tout ce temps, mais il est curieux que l'idée me vienne, puisque je n'ai jamais connu votre visage. Nous sommes à inégalité sur ce plan, vous et moi, mais n'importe : il existe l'encre et le papier. C'est au travers de vos mots que se dessine votre portrait, et de ce qu'il m'en souvient et que j'en lis, l'esquisse me plaît.

Seriez-vous d'accord pour poursuivre cette correspondance, si je m'engage à ne plus vous laisser dans un silence discourtois ? Le procédé ne m'est pas familier, et faute d'excuse, je ne puis que vous présenter cet humble engagement. Curieusement, votre prose me fait voyager et je me prends à rêvasser. Il est rare que je m'autorise cette activité.

Me parlerez-vous un peu de votre vie, dans votre prochaine lettre ? Si l'idée de poursuivre vous amuse, bien entendu. Il ne vous serait jamais tenu rigueur du contraire, et vous retrouveriez votre place sur le tableau d'un mystérieux souvenir. Et cette ombre ne me serait pas déplaisante, si tel était votre choix.

Bien à vous,

Gillian

Madd,

Je te souhaite un joyeux Noël, à défaut de ton anniversaire (c'est quand déjà ? Non pas que ce soit important mais voilà).
Je pense que tes dragées me seront utiles, à un moment ou un autre.
Je t'envoie un petit quelque chose que même à quatre doigts tu devrais pouvoir utiliser.

Je passe te voir bientôt (ce sera plus simple qu'à l'hosto j'espère).
La bise !

Gaspard

P.S. : tu m'as pris pour un sauvage ou quoi ?