Célébrons Yule !

pour une fois…

Je n’aime pas Noël. Quand je me croyais moldue, tout ce que cette fête me renvoyait au visage, c’était une vie de famille inexistante et le désamour de ma mère. Les décorations, les chants, les lumières, les cadeaux, j’ai fini par les observer sans envie. Ce n’était pas mon monde.

Une fois sorcière, pour Yule, ça n’a pas changé. Puisque j’étais au Jack. Savez-vous ce que signifient les fêtes de fin d’année, dans ce maudit cabaret ? Une vraie misère. Les soirées démarrent doucement dans les spectacles et la musique. Puis viennent beuveries, les jeux, les substances hallucinogènes à vous décoller la peau des muscles. L’organisation satisfait les bassesses de ses clients. Tout cela me semble si désespéré.

Cette année encore j’ai une boule amère qui roule au fond de ma gorge quand l’heure est venue pour la neige de courir le long des rues. Sharon me manquera encore. Avant elle m’emmenait sur le Chemin de Traverse pour me changer les idées, mais depuis qu’elle n’est plus là, je n’ai pas le cœur y aller.

Soudain, au milieu de toute cette agitation écœurante, je le vois. Sa grande silhouette sombre se détache de tout le marasme difforme qui nous entoure. Ses grandes perches de jambes le font avancer si vite que j’ai l’impression d’être attirée à lui comme s’il avait prononcé « accio ». Je n’ai le temps de rien, si ce n’est de le suivre. Ce n’est même pas un ordre, c’est un fait : on y va.

Son bras autour de ma taille me fait frémir tandis que j’agrippe rapidement son dos à mon tour, car je devine – pourtant sans vraiment d’indice – que nous allons transplaner. On y va, donc. Mais où ?

Nous voilà devant… je n’ai pas le temps de comprendre. J’obéis quand il me demande de le suivre, ma main accrochée à la sienne m’aide à m’aligner sur son élan. Je fais de trop petits pas. Le brouillard dont Conrad m’a parlé est si dense – et glacé, quelle horreur – que je n’y vois pas loin devant moi. Mais un étrange sentiment de familiarité me prend au ventre.
- Au professorat ? demandai-je presque essoufflée. Et alors, je n’ose croire ce que j’espère si fort.

Pourtant il y travaille depuis de si nombreuses années.

Les lumières chatoyantes d’une fête foraine, colorées et chaleureuses, scintillent sur le visage blême de mon chardon. Autour de nous, une joyeuse agitation sur fond de chants de Yule, d’odeur de sucre et des rires de jeunes gens sur des manèges. Je ressens un immense sentiment de sécurité, quand bien même un ou deux élèves me passe si près que je manque d’être déséquilibrée.

... des élèves ?

Mes yeux se perdent dans le ciel, au-dessus de la fête, et je reconnais de grandes tours dans lesquelles, autrefois, j’ai hurlé mon soutien à une équipe de quidditch concourant pour une coupe scolaire. Le bout de mes doigts se met à trembler tout à coup, mais cela n’a rien à voir avec le froid. Je tourne sur moi-même, je scrute, non, je ne me trompe pas, et cette herbe, et ces anneaux, je les connais. Alors je lève les yeux plus loin, et c’est là que je l’aperçois.

Au loin, surplombant un lac noir que je ne peux voir mais dont je connais par cœur l’emplacement, sublimées par des lueurs dorées qui ensoleillent chaque nuit avec enchantement, se dessinent les majestueuses tours du château de Poudlard.

Une émotion si forte monte dans ma gorge que je reste muette et que je ne bouge plus. Ce n’est pas un rêve. Ce brouillard terrifiant et froid ne m’a pas retourné la tête. Je suis bel et bien de retour à Poudlard. Dans mon école. Dans ma chère école, où il faisait doux et chaud, comme dans les bras d’un parent aimant.

Je tourne un regard mouillé de larmes de joie vers celui qui m’a enlevée. Mon sauvage qui n’aligne que les mots essentiels, si secret. Je n’en reviens pas. Hayden, comme tu as bien pensé. Mais peut-être ne soupçonne-tu pas à quel point. Mais comment as-tu fait ? Est-ce que j’ai seulement le droit de…

Peu importe. La fête autour de moi me rappelle à ces questions sans intérêt. Qu’est-ce que ça fout. On s’en fout.

J’essuie ce qui a coulé sur mes joues, même si mes yeux continuent de se déverser, j’inspire profondément, dans mes doigts à demi couverts par mes manches trop longues. J’ai du mal à parler, par où commencer, tout cela est si incroyable, c’est…
- Merveilleux, murmurai-je, le cœur allégé par une joie si intense que je ne réalise même pas ce que c’est, sur le moment. Je ne connais pas le bonheur, mais ce soir, mon chardon a voulu m’en approcher. Je l’effleure, ce que c’est doux.

Je me précipite vers lui en courant, puis je saute, pour me pendre à son cou, m’oubliant complètement, oubliant la timidité qui me broie et m’efface d’ordinaire. Je ne vois que lui, et curieusement, à cet instant précis, je n’ai plus peur de rien.
- Merci Hayden, dis-je de ma voix cassée au milieu de tous les cris et les rires ambiants. Merci, merci, merci, c’est fabuleux !

Mes pieds finissent par retoucher terre, je sens que je souris de toutes mes dents, derrière mes yeux rougis par mes pleurs heureux. Quelle triste mine je dois avoir, et le bout du nez rouge avec le froid, mais qu’importe. Je suis à Poudlard, de nouveau, et… avec lui.

Une soirée de liberté, loin de tout le reste.

Célébrons Yule !

pour une fois…

La contenance de mon chardon et son air de ne pas savoir où se mettre me font sourire, mais c’est de sa faute si je n’ai pas pu contenir ma joie. Je n’ai aucune envie de me retenir, pas même quand je remarque le regard acéré d’une grande élève aux cheveux roux qui jauge celui qu’elle connaît seulement comme « le garde-chasse ». Je réalise que nous sommes malgré tout sur le lieu de travail d’Hayden, sans comprendre la raison pour laquelle on l’autorise à être aussi en plus de…

Non. Nous avons dit que nous n’y penserions pas.

Seul l’instant présent compte, pas ce qu’il y a à l’extérieur. Je retrouve la bulle qu’est Poudlard, le cocon qu’elle a si longtemps été pour moi. Ce qu’il y aura après ce soir n’existe pas.
- Tout va bien, répondis-je à Tuszy. Je n’ai pas froid du tout.
Je suis dans un tel état d’extase et d’excitation que cela m’est complètement impossible. La fête qui bat son plein tout autour de nous aurait de quoi me faire tourner la tête. Plutôt me noyer dans ce tourbillon de fabuleuse magie plutôt que de revenir sur nos pas. Sauf si c’est pour fuir encore plus loin.

Je fais partie de cette étrange catégorie de personne qui n’est jamais montée sur un manège. Pour moi ce machines appartiennent à un aspect du monde, moldu ou magique, qu’il m’était impossible d’atteindre. Je les regarde avec admiration et gravité, comme quelqu’un qui n’a jamais vu la mer et réalise son absolue altérité.
Tu éclaircis ta gorge, Hayden, après avoir buté sur un début de phrase. Je m’étonne presque, toi qui parles si peu, mais si distinctement quand c’est le cas. Tu as le verbe bas et épuré, direct et incisif parfois. Tu parles comme chasse un rapace nocturne. Ce que tu me dis, je m’en doutais un peu, mais cela n’est pas source de déception pour moi. Je sais que tu veux te tenir à l’écart, sentinelle que tu es, toujours en retrait. Je te préférerais tant tout près de moi, toi qui m’encourage à aller m’amuser. Même si j’y étais déterminée, je ne saurais comment m’y prendre.

Mais curieusement, non, ce ne sont pas toutes les attractions qui attirent le plus mon attention. En revanche, ces nombreux stands de nourriture magico-festive…
J’adresse un petit sourire à Tuszy par-dessus mon épaule tout en me dirigeant vers une échoppe où se tiennent sur des présentoirs des petits beignets non cuits à l’effigie de créatures de Yule. D’un coup de baguette le vendeur les souffle pour les cuire et leur donner une belle couleur dorée, à demi couverte par quelques volutes de sucre glace administrées par les bons soins d’un Elfe de maison. Je surmonte ma timidité pour ramener un sachet tout chaud rempli à ras-bord.
- Tu en veux ? proposai-je à Hayden en lui tendant le sachet – agité par le mouvement des beignets qui chacun imploraient d’être dévoré en premier. C’est brûlant, ça devrait réchauffer ta voix.
Je goûte un de ces petits beignets, qui fond instantanément dans ma bouche, l’emplit de sa saveur sucrée relevée d’une note orangée. Ce que c’est doux. C’est la première fois, depuis que j’ai quitté Poudlard, que je prends plaisir à manger quelque chose. Je sens mes joues rosir de plaisir.

Je reste à côté de Tuszy, sans penser alors que son souhait était de s’écarter pour rester dans l’ombre. Qu’y puis-je. Je te veux près de moi, mon chardon. Ce sera mon caprice de ce soir, que j’ose égoïstement ajouter au plaisir de cette merveilleuse surprise que tu m’as faite. Laisse-moi agir en enfant gâtée ce soir, pour demain, l’affaire sera différente. Tu retrouveras ta danseuse silencieuse et timide, mais pas ce soir. Tu l’as dit, je suis en sécurité ici.

Je me sens libre.

Un chœur de voix criant victoire m’interpelle plus loin. Un groupe d’élèves, devant un stand de ce qui ressemble à un chamboule-tout magique, viennent de remporter un énorme ours en peluche enchanté pour enlacer quiconque lui effleure la truffe. Leur joie communicative m’inspire une nouvelle folie, et j’entraîne Tuszy avec moi, puisque de toute façon, je suis trop exaltée pour réfléchir.
- Parions, lançai-je en dégainant ma baguette. Je fais tomber toutes les boîtes en un seul coup.
- J’aime cet esprit ! s’enchante la vieille sorcière tenancière de l’échoppe. Si vous réussissez, vous pourrez choisir votre gain. Infligez un simple « wingardium leviosa » à cette boule devant vous et visez !
Mon estomac chargé de beignets me donne du courage. Je me concentre un instant et pointe la sphère qui ressemble à un petit boulet de plomb. D’un mouvement du poignet j’exécute le sortilège de lévitation, je vise… et le fait parfaitement rater de sorte que toutes les boîtes s’effondrent sur le sol. Je m'en sors bien en sortilèges informulés.

La vieille sorcière me félicite et me propose de choisir le fameux gain. Je choisis le plus incongru d’entre eux, puis me retourne vers Hayden. Mon pauvre Hayden qui subis mes frasques, mais je suis bien trop heureuse.
- Tiens, dis-je en lui tendant l’étoffe de laine que je viens de gagner. C’est une parure de lit spécial Yule. Elle sent le pain d’épice et fait le lit toute seule.

Mes lèvres se referment sur un sourire, mais je sens monter de mon ventre une irrépressible… envie de rire. Quand le pincement se fait trop fort, je me laisse aller, d’un rire aussi cassé comme ma voix, qui me secoue les épaules. Je ne sais d’où sort cette hilarité, dont je ne suis absolument pas coutumière. L’ambiance, ce cadeau complètement idiot, ou la tête de Tuszy ? Tout cela à la fois ? Je finis par me calmer, la bouche cachée dans mon col roulé un peu trop haut, les mains devant le visage, je rougis un peu, j’ai honte, mais je suis heureuse.

C’est parce que tu es là. Parce que tu m’as offert ce moment, avec toi qui plus est. Oui, surtout avec toi. Tu es sombre et austère, je le sais, mais je te sens lumineux à l’intérieur, et je suis la seule à le savoir, parce que tu ne l’as montré qu’à moi. Tu n’en as même pas conscience, mais c’est la vérité. Animal blessé que tu es.

Je t’adore, mon chardon.