J'assiste, simple spectateur, à une scène des plus mémorables : chez moi, mais je n'en suis pas l'acteur, ma meilleure amie invite mon grand-père à table et déballe donc ce que nous avions déjà gouté en lui assurant que "je gère" -personne ne sait quoi finalement, mais apparemment je gère ! Le vieil homme, comme un coq en pâte, semble avoir déjà oublié son sermon. Sugoï! Il sait comme faire avec ses mains, c'est certain ! C'est de famille. Évidemment ! Je tiens cela de mon père qui lui, en revanche, ne le tient pas de mon grand-père que je crois n'avoir jamais vu cuisiner -quand on passe sa vie à faire des potions, c'est pas pour remettre le couvert midi et soir pour la soupe ! Mon manteau dans les mains, déjà une manche enfilée, prêt à prendre la poudre d'escampette, Day me fait part de son étonnement face à ma... euh... fuite ? dérobade ?

Je me penche vers elle, et comme deux commères de premier ordre, nous nous mettons à chuchoter. Pas vraiment ; c'est juste que je voulais qu'on soit tranquille alors... Cet appartement est un vrai moulin à vent ! Quand ce n'est pas Jiji qui débarque à l'improviste, c'est Phoebe ou mon père -sans parler du courrier perdu du Ministère qu'il m'arrive parfois de recevoir par paquet ! Et j'ai passé l'âge de me faire gronder par mon grand-père devant une maie ! J'avouoe que... c'est un peut la honte quand même ! Même si Daisy me soutient et tout, qu'elle me connait et ne se fiera pas aux grognements du vieil acariâtre, je me retrouve toujours la peau du gamin introverti que j'étais -si tant est que ça ait changé, quand il s'adresse à moi de la sorte. Alors tout courageux que je suis, je fuis. Mais il y a Day ce soir, avec ses grands yeux qui ne voient pas cela, et ça fait du bien comme si ça n'existait pas. On va faire avec !

Ça n'a pas duré plus de quelques secondes, Hiruzen s'extasie sur le cadeau pour Elphias. Oh ! Ce serait avec grand plaisir ! Je vole en balais comme une hirondelle vole dans le vent. Vous savez que je fais des courses ? Alors ça, c'est une première ! Les mirettes écarquillés, je le dévisage. Attend ; tu quoi ?! Sans m'en rendre compte, je me suis rassis à ma place, pendu aux lèvres de l'ancien comme un mome qui attendrait son histoire. Hiruzen, qui vient de gober un sushi, a un mouvement de balayage de la main, comme si cela n'était pas important. Il se fait désirer. Mais depuis quand ? Et puis c'est hyper dangereux à ton âge Jiji ! Il explose de rire, comme le tonnerre qui frappe l'appartement, et se penche vers Daisy. Je ne suis pas si vieux que ça,  gurarara* ! J'ouvre la bouche pour répondre, mais il me coupe.

C'était la fin de l'été dans le nord de l’Écosse. Le matin se levait juste, et la brume naissait de la rosée que la nuit avait déposée sur les herbes roussies. Quand le soleil est arrivé à 7h dans le ciel, nous avons décollé de l'ile de Pabbay et avons filé vers le sud, jusqu'au phare de Barra Head. Il y avait un vent de sud-ouest qui ne facilitait pas la tache, et ça jouait des épaules dans tous les sens. Il s'est mis à pleuvoir vers 10h alors que nous remontions à peine vers le nord, on y voyait plus rien. Nous avons terminé aux Monach Isles après avoir survolé la mer qui faisait de grandes vagues agitées. L'une des concurentes, une certaines Mary Eddington, s'est faite engloutir par les eaux, elle volait trop bas. Je suis cois. Je me penche tout doucement vers Daisy. Il a plus de cent ans...

Je suis sûr que cette course n'était absolument pas légale... Il frappe dans ces mains après avoir mangé un deuxième sushi. Shshshhh ! C'était une belle journée ! Ah fiston, tu cuisines encore mieux que ton père. Je me redresse brutalement, flatté. Et vous n'avez pas encore gouter le dessert ! Je me dirige vers le frigo. Tu ne devrais pas prendre autant de risque... On ne craint plus rien à mon âge. Pas même la Justice ? Il a une petit rire en coin et regarde Daisy du coin du l’œil en me pointant du doigt. Même pas peur !

*ceci est un rire

Daisy a raison. Cette double intrusion coup sur coup chez moi de vieilles personnes alors que j'escomptais passer une soirée calme et tranquille avec mon amie m'a sans doute un petit peu irrité. Je respire un bon coup, chasse de mon esprits ces pensées de vieux ronchons d'avant l'heure, et me concentre sur ceux qui sont là. En effet, j'ai beaucoup de chance. Certain.es sont parti.es, ils nous manquent, et ceci est une raison plus que suffisante pour prendre soin de celles et ceux qui sont encore près de nous. Je souris et râle gentiment sur mon grand-père quand il nous raconte sa course folle en balais au-dessus de la mer. C'est une façon comme une autre de lui dire que je tiens à lui. En tout cas, Daisy est fan ! Rien de plus étonnant lorsqu'il est question de vol en balais il faut dire. En quelque sorte. Mon grand-père ne s'étend pas sur le sujet. Je sais qu'il n'aime pas parler du passé ; en tout cas, pas de celui-là. Il n'a pas de problème à ce qu'il soit évoqué, mais il n'aime pas le raconter lui-même. C'est la seule chose qu'il laisse soin aux autres de faire. Il me regarde, et la lueur dans ses yeux noirs est comme une demande que je connais bien.

L'ancien se sert une part de cheesecake à la citrouille alors que je reste figé la main sur le frigo. Jiji et Obaba ont fait leur classe au Japon, à Mahoutokoro, dans les années 30. Quand les choses ont commencées à dégénérer juste avant la Seconde Guerre Mondiale, ils sont venus s'installer en Ecosse. Vous aviez tout juste vingt ans je crois ? Il approuve d'un signe de tête. D'où le "en quelque sorte". Ils se sont installés à Inverness, ont fondé l'Atelier tel que tu le connais et n'ont plus jamais remis les pieds au Japon. Peu de choses avaient bougé en 80 ans dans cet atelier de potion, sinon quelques avancées magiques sur le chaudron et les moyens de stockages. Cette immigration, compte tenu du contexte, n'avait pas été évidente. Les comportements xenophobes, même dans le monde des sorciers, étaient courants. C'est à ce moment-là que ma famille a été maudite ; mais ça, nous l'avons découvert il y a seulement quelques années. J'aime l'Ecosse. Ca ressemble beaucoup à l'Hokkaido même si les montagnes sont plus vieilles et érodées. Alors pourquoi repartir ? Gurarara ! Je souris à nouveau. Nous sommes chez nous ici, établis sur quatre générations qui cohabitent encore sur ce bord de mer. J'ai voyagé au Japon, deux fois, avec mon cousin Kochi. Tu sais, le joueur de Quidditch chez les Tornades ? Je t'avoue que... J'ouvre le frigo et attrape une assiette de scones aux raisins secs. Fourrés à la crème au matcha, à la marmelade ou avec une purée sucrée de citrouille, il y a le choix ! Je me plais bien plus ici. Je suis un pur produit écossais ! Même si ma cuisine illustre bien ma double culture. Et bonne fin d'appétit bien entendu.

Mon grand-père ne pert pas une seconde pour s'emparer d'un scone à la marmelade, mais se ravise aussi vite pour le proposer à Daisy. Les dames d'abord*. Je ne peux m'empêcher de pouffer, mais il m'ignore. Et vous alors, Daisy. J'ai cru comprendre que vous aviez quasiment raccroché votre balais. Ah bah oui, je lui raconte toute ma vie à mon grand-père -sauf peut-être quelques détails par ci, par là, comme ma dernière aventure de la honte par exemple ? Il est donc au courant que Daisy ne vole plus vraiment en pro. C'est dommage ! Que diriez-vous de m'accompagner la prochaine fois ? Je tique. Ca vous direz une course de balais ? Quoi ?! Tes courses illégales là ?! Je regarde Daisy, effaré par la proposition, et lui fait signe de refuser. N'écoutez pas ce pleurnichard... Voilà comment mon grand-père traite un des hauts membres de la Justice magique... Je suis au Magenmagot tout de même ! Je suis certain qu'il vous en reste sous la semelle. Dans son regard brillent des étincelles de défi.

*en français, s'il-vous-plait

Keuwa ?! Je ne lui ai jamais raconté cette histoire ?! Sur mon visage se lit la stupeur. Mais naaaan ?! Impossible. La main sur la poitrine, comme si j'avais été touché en plein cœur. Moi qui croyais que tu savais tout de moi, Day... Je la joue un poil dramatique, peut-être pour contraster avec la dureté de ce que je viens de raconter. C'était une sale affaire. Je m'en souviens bien. Je t'assure qu'ils ont bien fait de mettre les voiles pour la France. J'ai une hésitation, puis je tique... Sans vouloir te vieillir Day, c'était il a presque trente ans... Oh la claque ! Trente balais ! Je n'en garde pas de souvenirs particuliers, j'étais trop petit ; c'est pas plus mal pour moi.

Enfin quoi qu'il en soit, nous sommes tous les trois là pour déguster un bon repas expérimental comme des frondeurs de la noirceur du monde. Même si Daisy, arrivée trente ans et ayant échappée au Seigneur des Ténèbres, l'exil en France et le Brouillard, manque de passer l'arme à gauche avec un de mes scones. Je lui tapote le dos de la paume de la main -là, là... Oh ! L'arbitrage ! C'est quand même moins drôle que de jouer. Personnellement, je suis en parfait désaccord avec cet avis. Le Quidditch n'aurait plus aucune âme sans arbitre. Ils sont souvent bien plus habiles que les joueurs eux-mêmes en plus. Mais je sais pourquoi mon grand-père dit ça. Mais toi, ce sont les règles qui t'embête n'est-ce pas ? Le vieil Homme explose de rire avant d'avaler un scone. Au diable le règlement ! Est-ce qu'on t'a déjà payé un pot-de-vin, ma chère ? Ma main heurte mon front dans un bruit de claque. Gigi... Mais j'ai quand même un petit regard en coin vers Daisy, en mode "dit-moi que non, dit-moi que NON PAR PITIE !" Non pas que je doute de sa droiture ; mais je sais comme la sorcière peut se montrer farceuse.

D'ailleurs, suffit de le dire pour qu'elle nous en sorte une bien plus énorme qu'un hippogriffe...Qui ? Moi ?! Mais jamais de ma VIE ! L'ancien rit encore de plus belle. Gurarara ! C'est ce que je voulais entendre ! J'ai bien vu le clin d'oeil de Day mais... Sans compter que je serais bien incapable de vous suivre... Ce qui est vrai ; il y a bien longtemps que je ne suis pas monté sur un balais pour voler sérieusement. Si ça se sait, je peux dire adieu à mon poste ! Le petit Marx en moi me sonne que ce serait sans doute là la plus belle des opportunités. Je le chasse rapidement. Je prends un air détaché. Ou alors je vous attends sur la ligne d'arrivée... Non mais parce que quand même je serais curieux de savoir qui la franchirait en premier. Ce serait l'occasion de prendre des paris. Décidément, il ne jure que par le jeu, quelque soit sa forme. Et bien dans ce cas... Je parierai sur Daisy. J'ai un sourire malicieux comme celui de mon grand-père. Gurarara ! Vous n'avez pas peur de la mer, Miss Wellington ?