Déjà un an que je suis arrivé à Poudlard. Le temps est passé vite, j'ai l'impression de n'y avoir rien fait. Peut-être parce que je me suis un peu trop isolé aussi ? C'est vrai que je n'ai pas trop été vers les autres durant cette année, mais en contrepartie je n'ai pas trop été dérangé au moins. Ca a finalement plus été à l'extérieur de l'école que j'ai eu plus de péripéties, la pire ayant sûrement été celle avec ce type insupportable qui prend tout le monde de haut. C'est peut-être ce qui explique que je me méfie davantage aujourd'hui des activités en dehors de Poudlard.

Je suis donc assez peu sorti pendant ces vacances, hormis dans les bois où il est plus rare de faire des rencontres. Aujourd'hui par contre, je dois faire l'une des pires sorties qui soit : celle pour préparer la rentrée à venir. Pourquoi la pire ? Car il y aura forcément du monde, ça va être long et il y aura probablement plein de choses que nous ne pourrons pas nous permettre d'acheter, ce qui va donc être frustrant et rendre cette sortie finalement relativement inutile si c'est pour repartir les bras presque vides.

J'en suis tout de même cependant, alors que j'aurais pu laisser mes frères choisir pour moi. Ils connaissent bien mes goûts après tout. Mais je n'allais pas les abandonner et leur laisser cette corvée, même s'ils la voient sûrement d'un meilleur oeil que moi. Puis autant m'habituer un peu à la rentrée quand même en fréquentant à nouveau davantage le monde extérieur, le choc risque d'être rude sinon.

Au moins, nous n'allons pas faire beaucoup de boutiques. On oublie les balais par exemple, nous n'aurons pas les moyens d'en changer, l'actuel fera très bien l'affaire. Pareil pour les baguettes, inutile d'y faire un tour. En fait, nous allons très certainement nous contenter surtout de celle de livres, afin de prendre les quelques nouveaux manuels dont nous aurons besoin cette année. A l'intérieur de la boutique, je vais à l'essentiel en me dirigeant directement vers les bouquins susceptibles de m'intéresser, ne faisant pas trop attention aux gens qui m'entourent. Il y a un risque que je croise des personnes que je connaisse bien sûr. Mais avec un peu de chance, aucune ne me remarquera ou ne m'abordera.

Bien, j'ai déjà trouvé un premier manuel, un des moins chers je dirais. Je commence à chercher le suivant quand ça commence déjà : on ne peut s'empêcher de m'importuner. On m'envoie effectivement un livre dessus, ce qui me fait d'ailleurs tomber le mien au passage. Je regarde le coupable, il me fait un drôle de sourire, sans agir ni parler. OK, c'est fait exprès c'est ça ? Encore un qui n'arrive pas à s'amuser autrement qu'en s'en prenant aux autres ? La meilleure arme contre ces gens-là, c'est l'ignorance.

Je m'apprête à l'ignorer avec superbe en reprenant mes recherches, quand il prend finalement la parole. J'avoue que je ne sais pas trop quoi en penser d'ailleurs. Ca ne ressemble pas au discours de quelqu'un prêt à se moquer, mais ce n'est pas vraiment non plus celui de quelqu'un près de s'excuser. Il me salue, c'est un bon début, et admet me reconnaître comme étant l'un des nouveaux frères français. Ce n'est pas tout à fait exact non plus, nous avons étudié à Beauxbâtons mais nous sommes allemands. Pour ma part, je ne le reconnais pas vraiment... Mais c'est plutôt positif : ça signifie qu'il ne m'a pas encore marqué de façon négative.

"Salut, c'est bien ça oui. Enfin en réalité je suis allemand, mais j'ai étudié en France pendant quatre ans. Du coup je sais parler français aussi."

J'hésite à me présenter, mais s'il nous connait suffisamment il saura sans doute lequel des frères "parle aussi bizarrement". Et comme je n'ai pas son prénom en tête, ça m'évite d'avoir à lui demander au risque qu'il le prenne peut-être mal. A la place, je ramasse mon livre ainsi que celui qu'il a fait tomber, lui tendant afin qu'il le récupère.

"Tiens, tu as fait tomber ça. Par contre c'est un livre de première année, je ne suis pas sûr que ça te soit destiné. Tu vas plutôt sur ta... quatrième n'est-ce pas ?"

J'ai triché, j'ai vu l'autre livre qu'il a en main. Ca collerait déjà davantage à l'âge qu'il semble avoir, et ça expliquerait aussi que son visage ne me dise trop rien. Je me suis surtout concentré sur les autres élèves en même année que moi, ce qui est déjà beaucoup pour un asocial tel que moi.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire en entendant sa réponse. Un sourire probablement un peu triste, à n'en pas douter. Je ne peux évidemment pas m'empêcher de comparer sa situation à celle qui était la nôtre il y a plus d'un an maintenant. Un manoir dans le sud de la France... Il en semble un peu fier je dirais, il me fait penser à mon frère, qui appréciait grandement notre richesse et son confort, et dont la chute a été plus difficile encore à vivre. J'imagine combien ce garçon doit être loin de penser qu'il pourrait tout perdre en un instant. On n'y pense jamais avant que ça n'arrive, sinon on chérirait davantage ce que l'on possède. Nous aussi nous avions un manoir, deux même. Et aujourd'hui nous vivons de peu, avec beaucoup de compromis.

"Moi c'est Lutz, enchanté. Pour ma part j'entre en sixième année. Je reste toutefois davantage nouveau par rapport à toi : je suis arrivé à Poudlard seulement depuis un an. Comparé à la France c'est vraiment différent, mais je préfère tout de même l'ambiance d'ici en soi."

Normal, vu ce que j'ai vécu là-bas et où ça nous a conduit. Au moins en un an ici, j'ai réussi à me montrer plus discret et à éviter les ennuis. Contrairement à ce qu'espéraient mes frères, je me suis davantage isolé aussi. Ca me semble être le seul moyen d'arriver à ce résultat, je suis sûr que ça reste la meilleure solution pour éviter que ça dégénère à nouveau.

Le livre n'étant pas à lui, je le range à sa place, même si j'ai bien conscience qu'il reste le coupable dans sa chute. Je n'ai pas l'impression qu'il ait l'intention de s'excuser, mais ce n'est pas grave. Je n'ai pas envie de créer de vagues pour si peu, je me fiche pas mal de ses excuses de toute manière. Elles ne m'apporteront rien en soi. Aucune excuse ne pourrait me rendre ce que j'ai perdu après tout.

"Un manoir en France, ça doit être sympa... Profite bien de cette chance que tu as."

Je voulais éviter les sous-entendus, mais je me suis laissé emporter par mes pensées. Je me suis senti parler de façon plus lasse encore, je me reprends donc rapidement pour éviter de me montrer défaitiste, partant sur un autre sujet plus léger.

"Personnellement je préfère le français. Je trouve la langue plus belle que l'anglais. Elle est plus complexe également, mais c'est ce qui fait son charme finalement."

J'ai dit cette dernière phrase en français, je suis curieux de voir à quel point il le maîtrise. Puis dans le fond, ça me fait plaisir de reparler un peu cette langue, je réalise que ça me manque un peu quand même en réalité.

Tiens, je ne l'aurais pas imaginé vulgaire avec ses petits airs de riche. Mais il n'a pas totalement tort pour autant : en effet j'ai eu cette impression qu'ils étaient plus coincés en France qu'ici. En même temps vu que ça s'est mal passé, je ne suis peut-être pas très objectif non plus. Quoique je serais encore plus critique que lui si je devais donner totalement mon avis.

"Et encore, s'il n'y avait qu'un balai... Ce n'étaient pas mes meilleurs années en effet."

Mais j'éviterai de rentrer davantage dans les détails, il pourra se contenter de croire que je parle uniquement de leur côté strict. Il semble préférer parler de lui de toute façon, ça ne m'étonnerait pas que ce soit le cas en tous cas. Sa façon d'être et de parler me le font penser, j'en ai déjà connu des comme lui. Il ne devrait peut-être pas chercher à en savoir davantage du coup. Ni même à comprendre mes mises en garde d'ailleurs. Il ne semble en effet pas voir où je veux en venir lorsque je lui dis de profiter de sa chance. Il me répond presque fièrement avoir un autre manoir au contraire. Comme nous en fait... Je nous revoie tellement en lui actuellement, je lui souhaite de ne pas connaître les mêmes déboires.

Nous arrivons cependant à une touche un peu plus légère qui a le mérite de chasser ces idées noires de ma tête. Il me dit ne pas être complexé mais bien avoir du charme. Je commence à sourire un peu, me demandant s'il plaisante ou non. Il a bien compris la phonétique, mais pas forcément les bons mots ni les bons sens j'ai l'impression, à moins qu'il ne le fasse exprès... Dans un cas comme dans l'autre, ça reste plutôt amusant finalement, et j'en viens à laisser échapper un petit rire. Un rire discret et loin d'être démonstratif, un rire qui me correspond en somme, mais un rire tout de même.

"Non je parlais de la langue, pas de toi. Je disais que c'est un dialecte complexe mais charmant. Après tout je ne sais pas vraiment ce qu'il en est te concernant. Enfin après je dis ça..."

Hou là, discussion gênante en perspective ! Je réalise que je commence à dire qu'il n'est pas vraiment charmant, ce qu'il pourrait prendre comme une insulte. Dois-je me rattraper à ce sujet avant qu'il ne le prenne mal ?

"Non pas que tu ne le sois pas hein ! Tu l'es très certainement. Enfin je veux dire charmant ! Pas complexé, ça j'en sais rien."

Bon j'abandonne, je ne fais sûrement que m'enfoncer, tant pis.

"Bref, tout ça pour dire que la langue est belle même si compliquée. Tu n'aimerais pas davantage la pratiquer ?"

On va essayer de changer de sujet, ou plutôt de revenir à celui d'origine.