J’joue ma vie là, c’est ça ? J’y pense depuis des semaines. Non, en fait, j’y pense depuis des mois. Depuis que mes lèvres ont laissé filer cette fichue invitation sans demander à mon cerveau s’il était d’accord. Pas que j’regrette, pas que ça soit au final une mauvaise idée, juste ça m’prend la tête. J’suis parti à l'étranger juste après ça mais c’était déjà trop tard. Elio avait retrouvé une place confortable dans ma tête et il semblait pas vouloir en être délogé. Edgar l’a tout de suite capté. Ailleurs, c’est comme ça qu’il m’a qualifié plusieurs fois alors qu’il me fixait en plissant ses gros yeux globuleux. J’me souviens avoir roulé des miens parce qu’il m’énerve toujours à lire dans mes pensées dans les moments où j’le veux le moins. Mais il me connaît par coeur, j’peux rien lui cacher, il sait quand j’suis pas concentré ou que j’vais pas bien.

Le stress est venu dès le départ mais c’est que depuis quelques jours que sa pote panique est arrivée sur le devant de la scène, sous le feu des projecteurs. J’me suis mis à faire les cents pas où que je sois, la tête percutée par au moins mille questions. J’réalisais qu’il serait là, bientôt, avec sans doute plein d’interrogations aussi et moi, rien de concret à lui répondre. Bien sûr, j’y ai pensé, à chercher les réponses dans l’avenir mais quand je regarde mes bras, j’me revois sur le sol en train de… vous savez. J’veux plus revivre ça, puis j’sais bien que depuis cet accident, Edgar fait encore plus attention à moi. Il m’a fait promettre de plus recommencer et de lui parler si la tentation me démangeait. Pour l’instant, malgré l’appréhension qui m’intoxique chaque jour un peu plus, j’tiens bon. Ouais j’tiens bon...

Jusqu’à ce que ça frappe à la porte. Immédiatement, mon coeur s’emballe à m’en faire presque perdre l’équilibre. J’appelle Edgar et j’me précipite devant un des miroirs de mon dressing. Je vérifie que mes cheveux ça va et que mes vêtements sont propres et ont pas de pli. Est-ce que je sens bon ? On va dire que oui. Je tremble, mes doigts m’obéissent à moitié mais plus le temps de s’en soucier. En bas, Edgar doit déjà accueillir Elio. J’peux pas rester là. J’répète en boucle les millions de phrases nulles auxquelles j’ai pensé, en descendant les escaliers, sans parvenir à en choisir une convenable. Lorsque j’arrive dans le hall, j’réalise une nouvelle fois pourquoi le Choixpeau m’a pas envoyé à Serdaigle. Elio est à quelques mètres de moi et pas une seule fois pendant toutes les simulations tordues que j’avais imaginées pour me préparer à cette situation, j’ai pensé que le voir aussi beau, aussi lui, aussi Élio pourrait anéantir tout espoir de faire fonctionner mon cerveau. Alors, c'est la catastrophe et dans ma tête de la bouillie. Coucou Elio. Ça va ? Hum... Je… tu me suis ? Tu connais le chemin ! On va dans ma chambre ou… Je... fais comme chez toi ! Bravo Ambroise, tu pouvais vraiment pas être plus gênant et moins clair que ça.

J’ai l’impression d’avoir un balai de compétition dans les fesses et j’en connais certains modèles qui déjà entre les jambes ne sont pas top confort. Papa en a toute une collection – des balais confortables surtout hein – et même si je déteste le Quidditch, je les connais tous par coeur. Me mettez pas au défi, je suis in-co-lla-ble. Dans ma chambre, c’est très bien ! J’ose pas trop regarder Elio dans les yeux parce que je sens que lui me fixe et si nos regards se croisent, je réponds plus de rien. Alors, je tourne les talons et difficilement je prends la direction de ma chambre. C’est par là. Évidemment que c'est par là et il le sait parfaitement. Je ferme les yeux d’exaspération. Je m’énerve moi-même dans ces situations où je dis des absurdités sans pouvoir contrôler quoi que ce soit. Très très souvent avec Elio et c’est vraiment terrible. Faut que j’apprenne à me la fermer mais c'est plus facile à dire qu'à faire !

Ah oui, oui, mes parents sont d’accord. Y a pas de raison que ça soit pas le cas ! Me la fermer à ce moment-là par exemple. Y mille raisons pour lesquelles mes parents ne voudraient pas qu’il soit là. Comme par exemple avoir été le déclencheur de ma descente aux enfers pendant plus d’un an. Ça pourrait jouer. Mais le passé, c’est le passé, pas vrai ? Ça parasite le présent ! Je sais plus qui disait ça… Un grand sorcier sûrement ! La montée des marche est interminable et je dis pas ça parce que c’est un grand escalier ! C’est dans ma tête que j’ai l’impression que ça ne s’arrêtera jamais mais finalement j’arrive devant la porte de ma chambre et maladroitement, j’invite Elio à rentrer. Installe-toi où tu veux ! C'est pas la place qui manque !

Pendant l’instant où il me tourne le dos, j’ose un peu l’observer. Il est toujours pareil, fidèle à lui-moi avec ses petites bouclettes dans lesquelles j’aimais glisser mes doigts. Quoi que j’y fasse, il me plaît toujours autant et malgré tous mes efforts, j’arrive pas à imaginer ma vie sans lui. Je sais pas pourquoi il me fait cet effet-là, lui plus qu’un autre – et pourtant même si je reste toujours de marbre, j’en ai vu des beaux garçons pendant les défilés. Je l’explique pas mais finalement, j’ai plus trop envie de l’expliquer. Il est de nouveau là, chez moi et c’est tout ce qui compte. Je suis content que tu sois là. J’ai pas eu le temps de préparer beaucoup de choses pour aujourd’hui désolé… Tu veux boire un truc, on a plein de choses tu sais… J’ai demandé à ce qu’ils préparent le jus de fruits que tu aimes bien là, si jamais t’en veux, enfin je te force pas… mais j’y ai goûté un peu et il est très bon, enfin je l’ai trouvé bon moi mais… voilà. Oui, je suis content que tu sois là… Et si j'ai le temps, un jour, promis juré, j'apprendrai entre deux mots à respirer.