Cette lettre l'accablait. Non pas qu'elle était négative, au contraire. C'était un très grand honneur que d'avoir été déniché par un chasseur de tête qui connaissait sa condition de cracmol et qui lui proposait tout de même le poste dans l'une des plus grandes réserves de créatures magiques d'Europe. Mais Geronimo Cortazar ne savait pas quoi faire. Lui qui avait toujours été mis de côté dans le monde magique, qui n'avait été bon que pour rester dans les bureaux du ministère jusqu'à abandonner son rêve et se focaliser au final sur les simples animaux non magiques... Maintenant qu'il avait fait tout ça, allait-il tout lâcher ? Le refuge était là, de nouveau à Pré-au-lard, neuf, les travaux finis, dans une belle activité... Si on oubliait la hausse des abandons de la part des élèves de Poulard qui continuait à accepter que des enfants aient, sous la non surveillance de leurs parents, des animaux dont ils ne connaissaient rien... Oui, sans ça, le refuge marchait très bien. Mais... Quitter le Royaume Uni ? Pour retrourner dans les Créatures Magiques ? Dans un pays lui étant parfaitement inconnu ? Oh, ça n'était pas ça qui lui faisait peur. Surtout que c'était un pays voisin à celui de son enfance... Mais... tout de même. Partir de Pré-au-lard ?

Geronimo ne comprenait pas ce pincement au coeur. Beth n'était pas encore dans la bonne année pour faire des sorties dans ce village les week-end, donc ça n'était pas ça qui le chiffonait, du moins, pas encore. Avait-il perdu son tempéramment d'aventurier ? Non. D'un côté, c'était excitant tout ça. Comme pour chercher un indice à ce mauvais mélange de sensations en lui, ses azurs se posèrent sur la lettre laissée sur un coin du bureau avant de glisser sur la voisine. Celle portant l'écriture de Laurence. Aussitôt, la sensation désagréable lui revint. Ce vertige de jalousie. Avec cette accompagnement automatique de honte. Il ne comprit pas tout ça sur le coup, essayant juste de prendre exemple sur son ami qui avait le bonheur de retrouver sa femme et qui avait surtout le courage de quitter un pays pour aller à l'autre bout du monde. Bientôt. Quand la fin de l'année scolaire arriverait. Et elle arrivait beaucoup trop rapidement. Ils avaient déjà dépassé noël. Même si cette phrase ne voulaient rien dire. Ils l'avaient dépassés séparément. Sur ce même coin du bureau tronait encore un emballage qu'il n'avait osé offrir. Geronimo n'avait pas osé lui envoyer. Ni lui donner en main propre. C'était idiot. Comme si quelque chose s'était réveillé en lui sous la lecture de la fameuse lettre de son ami et que donner son présent au brun signifiait avouer quelque chose. A lui comme à l'Autre. Comme si l'Amitié ne pouvait pas justifier ça.

Petit à petit, la pensée faisait son cheminement dans son esprit perdu. Les yeux se plissaient sous la réflexion, sous ce pincement au coeur, sous cette tension se jouant au bord du regard orphelin. Les lèvres se pinçaient entre elles. Mince, depuis combien de temps n'avait-il pas eu cette envie de pleurer comme un enfant ? Des années sûrement. Il en avait oublié ce que ça faisait d'être surpris par ses propres émotions. Lui qui savait tant les manipuler au travail, face aux tristes cas qu'il lui était donné à voir dans ses heures de vétérinaire, lui qui savait se fermer en avance, voilà qu'il était pris de court après des années. Rien n'allait dans tout ça.

C'était ça, sûrement. La réponse à ses doutes. Quitter Pré-au-Lard, c'était quitter ce voisin de bêtise. C'était à son tour s'envoler, mais d'une toute autre manière. Prendre la fuite alors qu'Il prenait un départ sans se cacher. Le courage n'était donné qu'à l'un d'eux et, spoiler alert : il ne se trouvait pas chez Geronimo.

Son corps se mouva enfin après tant de temps passé sur son fauteuil, immobile. Juste pour prendre une feuille, une plume et faire des calculs. Faire des choix. S'il devait quitter Pré-Au-Lard après tout pour ce nouveau travail, il était hors de question de lâcher le refuge Ganimo. C'était leur héritage à Gaby et lui. Hors de question de laisser les animaux et employés dans sa fuite. Il fallait juste... Revoir avec ses derniers chiffres la nécessité du foyer animal. Et réaccorder de nouveaux postes pour le remplacer lui. Il savait déjà quels employés pouvaient tenir parfaitement un nouveau rôle. Il avait confiance en chacun et chacun méritait un réajustement sur bien des points. Les noms et nouveaux postes s'écrivaient tout seuls sur le parchemin. Comme s'il avait toujours su qu'il était remplaçable et qui saurait prendre sa place. Il n'aurait qu'à les regarder de loin et passer de temps en temps pour aider en cas de besoin. Ou en cas de nostalgie de sa part. Ça serait surement ça. A l'heure d'aujourd'hui, le refuge tenait parfaitement droit même lorsque Geronimo s'absentait le temps de vacances à partager avec Beth. Il n'en ressentait jamais de crainte ou de doute. Toute l'équipe était formidable. Alors peut-être qu'il était temps de prendre son envol et de profiter, lui aussi quelque part, de cette chance qu'il lui était donné ? Au moins, Gero ne stagnerait pas à Pré-Au-Lard. Ça ne sera pas à lui de voir disparaitre Laurence. Et peut-être que ce dernier -il était fort probable dans la tête du plus âgé- ne ressentira rien en quittant l'Ecosse, ne se rendant même pas compte de la disparition du cracmol ? Autant arracher le pansement d'un coup, ça ne serait pas plus mal. Alors, dès lors qu'il aura terminé son brouillon sur les futurs postes des gens formant son équipe, Geronimo s'appliquera à enfin répondre à l'Ile du Paon.