On avait beau se trouver au cœur des embrumes, cernés par des membres de la pègre au pédigrée des plus discutables, ce genre de soirées exigeait un faste qui par certains aspects n’avait rien à envier aux sang-purs. C’est ce qu’avait toujours à l’esprit Andreas Santemaria, l’hôte de ces lieux, qui tenait à ce que chaque événement qu’il proposait à ses très estimés pairs se déroule de la plus parfaite des façons.

Quand William Wright parut devant lui, le sourire qui jaillit sur son visage n’avait rien à envier à celui que les nobles arboraient tel un beau masque bienséant. Au creux de son gros bras, entortillé autour de sa taille comme une corde au cou d’un condamné, se trouvait une toute jeune femme à l’air morose. Elle était frêle, pâlotte et semblait ne rien désirer moins que de se trouver ici. Après quelques mots dignes d’un métayer parlant de son bétail, Wright envoya valser la petite belle quelque part ailleurs dans le salon, heureux de pouvoir exhiber le faible gibier qu’il tenait sous son joug, mais peu amène à garder un œil sur lui pour le reste de la soirée. Wright était un renégat, une petite frappe qui se complaisait devant les plus puissants que lui et se montrait cruel avec les plus faibles.

En d’autres termes, un lâche invétéré.
Avec lequel Santemaria se devait d’être poli, néanmoins, car dans leur milieu les affaires étaient plus importantes que les affinités personnelles.
C’est pour l’application de ce même principe, tandis que la conversation allait bon train entre les deux hommes, qu’Andreas s’interrompit subitement.
- Wright, regardez.
Son regard d’acier s’était arrêté sur la silhouette dégingandée d’un jeune homme aussi grand que maigre, aux cheveux blonds filasses et joues creuses, qui n’en menait pas large au milieu des regards parfaitement hostiles qu’on lui lançait. Autour d’eux, les invités chuchotaient son nom, en proie à un émoi qui oscillait entre l’agacement et la haine pure et simple. Santemaria avait du mal lui-même à en croire ses yeux. Il ne l’avait très certainement pas invité.
- Lenny Donovan… qui lui a permis de… ?
Une voix féminine plus suave qu’un parfum d’amortentia l’interrompit.
- C'est moi.
Elle était blonde, aux grands yeux clairs, le visage fin comme celui d’un jeune chat. Sa bouche carmine souriait chaleureusement. Vêtue d’une robe tout aussi rouge qui dévoilait son cou de cygne et ses épaules, son apparition fit taire les protestations des deux hommes.
- Lady Midford, quelle surprise.
Santemaria la salua avec tous les hommages dus à une dame du monde.
- Mon employeur n’a pu honorer votre invitation Sir, mais il m’envoie le représenter.
- Ne vous justifiez aucunement, répondit l’hôte avec obséquiosité. Cependant comment se fait-il que Donovan… ?
- Notre ami commun lui a renouvelé sa confiance. Croyez-bien que ce cher Donovan ne cherche qu’à faire amende honorable. Ne devrions-nous pas pardonner les erreurs de nos jeunes confrères ?
- C-certainement, ma Dame…
Santemaria n’était pas de cet avis, mais il savait plus sage de se ranger du côté de ceux qui s’acoquinaient avec les Sang-purs véreux. Ceux de l’espèce de la délicieuse lady, qui s’éclipsa poliment, pour s’approcher de la jeune prodige de Wrigth, sans que le regard d’Andreas ne quitte sa chute de reins.
- Il n’y a rien que des vieux cochons ici, railla la Lady lorsqu’elle arriva aux côtés de sa cible.
Cette toute jeune femme avait des airs de niffleurs jeté sur les rails du Poudlard Express, au milieu de tous ces gens que, de toute évidence, elle ne connaissait pas.
- Serait-ce une soirée pénible pour vous, Mademoiselle ?
En témoignait le verre que la petite avait descendu avec une détermination qui frisait l’indécence. N’importait puisqu’il n’y avait personne à impressionner ce soir. La sorcière au sourire carmin s’empara elle aussi d’un verre, porté par l’un de ces plateaux en lévitation, et désigna d’un petit signe discret le jeune homme avec lequel elle était entré, et poursuivit sur le ton de la confidence.
- Vous ne seriez pas la seule. Observez ce garçon, là-bas. Si je vous disais qu’il était contrebandier et qu’une de ses maladresses avait coûté de l’argent et des hommes à quasiment tous ceux qui nous entourent, ce soir, me croiriez-vous ?
Lenny Donovan essayait tant bien que mal de faire bonne figure, mais ses mains tremblantes et ses rires nerveux ne trompaient personne.
- Il faut savoir faire face, pour les gens comme nous.
Un sourire énigmatique se dessina sur le visage de celle qui s’était décidée à tenir compagnie à la jeune fille esseulée.
- Je suis June Midford, déclara l’intéressée en tendant la main à sa petite compagne. Je ne crois pas avoir eu le plaisir de vous rencontrer, Mademoiselle… ?

Elle prit une gorgée de sa boisson, très fortement chargée en alcool. Santemaria en faisait toujours trop pendant ses maudites soirées…

Celle qui se présenta comme Avery Baker ne se laissait pas facilement impressionner. Sage attitude, quand on songeait à l’endroit où Wright était venu la perdre. Mais cette réaction digne d’un chaton sur le qui-vive fit sourire Lamora.
- Dans cette mer vous ne trouverez aucun poisson exotique, mademoiselle Baker. Seulement des habitués de longue date, aux dents longues et acérées.
Elle attendit qu’un hôte se serve au buffet avant de poursuivre, soucieuse qu’on ne dérange pas leur conversation.
- Votre question, en revanche, m’indique tout à fait que c’est la première fois que vous vous aventurez sur cet océan.
C’était le genre d’individu que Josephine, même pour une mission, n’aurait pas souhaité effleurer du bout de sa baguette. A le voir faire le beau dans une soirée telle que celle-ci, au milieu de tous ceux qui, sans vouloir s’en faire un ennemi, ne comptaient certainement pas parmi ses amis, avait quelque chose de répugnant.
- S’il vous retient prisonnière, par pitié, lancez le sortilège du periculum. Nulle personne ne devrait être contrainte de fréquenter pareil énergumène.
Elle avait beau avoir dit cela sur le ton d’une bienveillante plaisanterie, rien chez Lady Midford ne respirait le réconfort maternel ou le désir de protection. En revanche, les piques lancées à l’endroit de l’intéressé étaient tout ce qu’il y avait de plus sincère. Lamora avait à peine besoin de jouer un rôle pour cela.

De temps en temps, Wright leur lançait un regard l’air de rien.
- Il semblerait que notre ami vous surveille de près. Quels nobles sentiments.
Sous cette couverture, Lamora n’était pas considérée comme quelqu’un de dangereux. Seulement comme une poule à la botte d’un homme puissant, qui la recommandait à des amis chers qui auraient besoin de ses services. Homme puissant qui, à dire vrai, n’existait pas du tout.
- Alors, que diable avez-vous fait pour mériter un cavalier tel que William Wright ?

Homme puissant, femme trophée. C’était tristement prévisible, au détail près que la jeune Avery n’avait pas l’air de goûter à cette doublette gagnante vieille comme le monde. Son âge et sa position laissaient deviner qu’elle n’était pas en position de servir à Wright autre chose que de petites insolences. Desquelles ce tordu devait s’accommoder ou s’amuser.
- Et vous ? Le remerciez-vous de vous fournir de quoi vous occuper ?
La lueur qui dansait dans l’œil de Lamora avait la couleur du sarcasme. Wright était de la trempe des crapules qui ramassent les gamins dans la rue pour leur faire exécuter ses basses besognes, avec un risque pénal très amoindri.
- Pour vous répondre, plusieurs travaux m’ont menée à croiser sa route.
Lady Midford avait parlé d’un ton qui ne laissait aucun doute quant au « malheureusement » dont elle aurait volontiers ponctuer sa phrase. Le rôle devait être tenu jusqu’au bout.

La vérité était qu’un adversaire comme Wright n’était pas de nature à l’impressionner.
- Ne souhaiteriez-vous pas vous libérer de son joug ?
Cette fois-ci, elle avait parlé à voix basse. Son regard se porta sur le sujet de leur conversation, duquel s’était rapproché Donovan, le mal aimé de la soirée. Wright ne fit rien pour dissimuler son hostilité envers lui.