Mauvais présage

event acte IV - solo - ambiance

Sept au Pays de Galles. Trois en Irlande du nord. Quatre en Écosse. Trois en Angleterre. Dix-sept cavités au total visitées par l’équipe du fin limier du Ministère. Dire que c’était la curiosité de quelques moldus imprudents qui leur avait mis la puce à l’oreille. Les autorités y avaient vu une chance insolente, Lukas Rainforth un véritable hasard. Une fortuité inquiétante, qui montrait combien la société magique était tombée bas. L’essence même de ses missions des dernières semaines, cependant, l’induisait à redresser la barre et à remettre entre les mains des Sorciers le destin des Sorciers.

Enfermé dans son manoir – plongé dans le Brouillard comme tous les territoires à des miles à la ronde – Lukas faisait les cent pas devant son bureau, la mine sinistre. Au-dessus de son bureau flottaient des notes, des plans, des reproductions de symboles ainsi que des iconographies de tout ce qui avait été retrouvé dans les lieux déjà visités. Des écrits d’aspect anciens, ainsi réalisés selon la forme de magie utilisée, séculaire, mais surtout pour en compliquer la tâche de lecture. Que n’avait-il fallu faire pour trouver les références nécessaires, dans les plus anciennes bibliothèques de Grande-Bretagne. Entrer dans ces bâtiments condamnés par la crise n’avait pas été tâche facile, mais comme souvent, le Ministère passerait outre les moyens employés par Lukas pour arriver à leurs fins.

Près du mur, dos à lui, flottaient des cartes et des fils qui reliaient plusieurs points stratégiques entre eux. Des petites épingles mouvantes pointaient les cavités, qui se trouvaient tantôt perdues au cœur de la forêt, tantôt dissimulées derrière des infrastructures moldues anciennes et en ruine, que personne n’osait pénétrer. Des photographies de sorciers et sorcières aux allures maussades lévitaient près de certaines zones entourées de traits d’encre épais, tout comme des écritures grouillaient à côté d’eux, ou de divers endroits dans lesquels des indices avaient été trouvés. Le tout brillait à la lueur de quelques sortilèges, et surtout du feu de cheminée qui brûlait magiquement depuis plusieurs heures sans perdre de sa ferveur.

Lukas se retourna pour contempler une dernière fois l’objectif de cette nuit. Un point, ultime cœur névralgique vers lequel convergeaient tous les autres, devait être visité. Situé sous une ancienne et petite cathédrale datant du XIIème siècle, sur laquelle un sortilège repousse-moldu avait été appliqué. Malheureusement il n’y avait pas que cela : l’endroit présentait la curieuse caractéristique de voir son entrée protégée par un enchantement incomplet, qui scellait ses portes. Une première visite sur place par son équipe de reconnaissance avait permis de comprendre qu’il manquait à l’édifice un élément, un élément crucial, que l’un d’eux s’en était allé chercher jusqu’à celui qui le possédait. L’enquête, en ce sens, n’avait pas été facile. Mais le détenteur identifié, tout n’était plus qu’une question de temps.

L’horloge murale afficha minuit vingt lorsque l’on frappa à la porte. Lukas donna la permission d’entrer à son majordome, Brad Murray, qui avait troqué sa livrée contre un imperméable aussi gigantesque que sa stature, en cette nuit couvert de boue tout comme ses bottes. Le maître des lieux s’empara de sa canne pour s’approcher, sans trop boîter, de son serviteur. Murray sortit son poing gros comme un rocher de sa poche et écarta les doigts pour révéler, dans sa paume, un pavé sur lequel était inscrit un symbole runique.
Lukas considéra l’objet, puis dans un demi-sourire, la figure de Murray, parsemée d’égratignures et ecchymosée au niveau de l’arcade sourcilière.
- J’ai dû insister pour convaincre le propriétaire, indiqua le majordome à voix basse.
- Parfait.

Lukas se retourna vers son bureau et pointa sa baguette sur la redingote presque roulée en boule sur le dossier de son fauteuil. L’objet lévita rapidement jusqu’à lui et il l’enfila, ainsi qu’il ficha sur son crâne un chapeau à bords larges qui dissimulerait efficacement ses traits dans la pénombre. Il sortit une petite flasque de la poche intérieure pour boire en vitesse une lampée de la potion âcre qu’elle contenait. De quoi faire tenir sa jambe pour quelques heures. Enfin il rangea magiquement sa canne, dans un claquement de doigt qui la fit disparaitre quelque part, sous les tissus.

Il rajusta une dernière fois son chapeau et avança d’un pas déterminé hors de la pièce.
- Allons-y.

Murray sur les talons, Lukas marcha à grandes enjambées jusqu’au portoloin que les services avaient autorisé spécialement pour les besoins de cette mission. Il s’en empara d’une poigne ferme que Murray imita, et l’instant d’après, le manoir Rainforth était vide.

Ivy, cachée dans un petit mausolée derrière des arbres, affichait une mine aussi sérieuse que si elle était gardienne des clefs à Azkaban. Une heure qu’elle faisait le pied de grue, plus ou moins à l’abri du Brouillard dans cet endroit confiné – elle priait Merlin pour qu’il fut suffisamment étanche – à observer l’endroit qu’ils s’en iraient bientôt tous explorer. Si toutefois Murray avait bien rempli sa part du travail, hypothèse qui lui parut d’une évidence folle lorsqu’elle y songea. Le deuxième sorcier le plus fiable du domaine Rainforth, après le maître des lieux, c’était bien Brad Murray.
Les murs du mausolée se mirent à trembler légèrement et l’instant d’après, le majordome apparaissait en compagnie du sang-pur, tous deux accrochés à ce qui ressemblait à un vieux galurin. Un portoloin autorisé tout spécialement pour l’occasion, qu’ils lâchèrent tandis qu’Ivy les saluait tous les deux.
- Monsieur, fit-elle en s’inclinant un peu. Murray.
- Du mouvement ? demanda Lukas, en jetant un œil par la meurtrière du mausolée.
- Pas depuis qu’ils sont entrés.
Murray eut un rire de gorge, agrémenté de toutes les aspérités rauques que pouvaient offrir sa trop grande consommation de tabac sorcier.
- Qu’on me stupéfixie s’ils ne sont pas en plein rituel.
- Dans ce cas pas de temps à perdre.

Les deux domestiques se reconcentrèrent dès que l’ordre claqua. Lukas reporta son attention sur l’intérieur du mausolée. Il tendit la main vers Murray, qui lui donna derechef le pavé sur lequel la rune était inscrite. Ivy ne put réprimer une exclamation de satisfaction.
- Par Merlin, bravo majordome. Où est-ce qu’ils l’avaient planquée ?
- Chez leur ancien grand prêtre, celui qui s’est cassé la jambe après l’excavation dans les Highlands. Ils pensaient qu’on ne remontrait pas jusqu’à lui.
Ces cultistes avaient des qualités mais pas celle de dissimuler suffisamment leurs traces. Une fois le bout de la ficelle trouvé, il avait suffi de réenrouler la pelote. Un vrai jeu d’enfant, du moins pour celui qui ne craignait ni les embûches, ni le recours à la magie noire.

Lukas Rainforth n’avait cependant pas froid aux yeux.

A l’extérieur, devant les restes de la cathédrale en ruine, se trouvait un portail que d’aucun aurait pensé tout aussi abîmé que le reste. Or, une première étude des lieux avait permis à Lukas de constater que les lieux étaient protégés par un enchantement formé par une chaîne de runes anciennes, toutes gravées ou dessinées sur des pavés épars. Il manqua de perdre l’esprit, dans la brume, le jour où, déterminé à trouver le fin mot de l’histoire, il était parvenu à force d’étude acharnée de reconstituer la phrase de l’enchantement. Laquelle était incomplète, puisqu’il manquait la rune, la seule et unique rune comportant la clef de désenchantement. C’était un exercice de lecture et de traduction poussé, non à la portée du premier sorcier venu, d’autant que les runes utilisées provenaient d’une langue ancienne, et maudite. Fort heureusement, Lukas pouvait se vanter de disposer de la documentation séculaire des Rainforth, sans laquelle il ne serait jamais parvenu à ses fins.

Il y avait là un os, sur lequel Lukas ne buta pas bien longtemps. Si cette cavité voyait son mur d’enceinte rendu magiquement impénétrable, contrairement à toutes les précédentes, c’était que les lieux étaient encore occupés. Une déduction d’une simplicité enfantine.
Murray était donc parvenu à récupérer le pavé de rune manquant. Il n’y avait plus qu’à l’apposer au bon endroit pour pénétrer les lieux. Lukas mettrait dès lors fin à leurs pratiques magiques répugnantes, qui salissaient l’honneur des Sorciers et menaçaient la sécurité du Ministère.

Plus déterminé que jamais, Lukas sortit de sa poche trois fioles contenant un liquide plus précieux que l’essence des larmes de Merlin lui-même. Tous savaient ici qu’il s’agissait d’un simple palliatif qui ne permettrait que de retarder les effets néfastes du Brouillard, mais c’était toujours ça de gagné. Le sang-pur but d’une traite la moitié de sa propre fiole, et ses deux domestiques l’imitèrent non sans grimacer – cette potion était décidément bien amère.
- Allez.
Sur le pas de porte du mausolée, Lukas ouvrit la marche et dégaina sa baguette, pour tracer rapidement autour d’eux une zone frappée du sortilège de désillusion. Ils ne pouvaient se permettre d’être repérés aussi tôt.

L’équipe se précipita ensuite vers le fameux portail, complètement biscornu, dont Lukas se rappelait chaque détail. Les runes gravées au sol contenaient la transcription basique de l’enchantement, celles dessinées ça et là, sur les pans les hauts murs d’enceinte les renforcements, et enfin, celles qui avaient été dissimulées sur le haut de l’arche venaient sceller le tout. D’un wingardium leviosa informulé, le sang-pur envoya le pavé qu’il tenait auparavant dans ses mains se ficher à l’endroit qui était sa place. Le portail se mit à vibrer, dans un grondement sourd, et enfin, la porte put s’ouvrir. Première victoire.

Lukas fit signe à Murray et Ivy de le suivre. Ils arrivèrent au pas de course jusqu’à la cathédrale abandonnée, et juste avant que les fioles d’antidote ne fassent plus effet, ils s’engouffrèrent à l’abris dans la nef.

Les trois sorciers se déplacèrent avec la furtivité de loups en pleine chasse, derrière les piliers et les effondrements, dans l’ombre, autant pour ne pas se faire repérer que pour prendre par surprise tout éventuel cultiste qui se trouverait dans les parages. Leurs précautions furent récompensées : de quelques mouvements de mains, Murray adressa un message à Lukas et Ivy, qui se déplaçaient sur la droite tandis que lui allait sur la gauche.
Devant. Un cultiste à dix heures, deux à une heure et deux heures.
Lukas répondit d’une main, par un geste imitant des ciseaux. Chaque cultiste eut bientôt l’un des intrus à ses trousses.

Murray se débarrassa du sien après s’être trouvé derrière lui, d’un stupéfix bien senti. Il amortit la chute de sa victime afin de ne faire aucun bruit et ne pas alerter les deux autres. Ivy pétrifia sa cible, et quant à Lukas, il jeta un sortilège qui mêla si bien celui de ses deux domestiques que cela faisait froid dans le dos. Il y avait cependant longtemps qu’ils avaient compris que tâcher de connaître les secrets magiques de leur maître au sang pur n’était pas une bonne idée.
- Cache-les Murray, ordonna Lukas alors qu’il enjambait sa victime. Et entrave-les.
A défaut d’encore savoir ce qu’il adviendrait de leur sort, mieux valait s’assurer qu’ils soient incapables de s’enfuir. Le majordome s’exécuta derechef, sans omettre de briser les baguettes des cultistes. Toute mauvaise surprise devait être évitée.
- Par ici, souffla Ivy.
Au centre de la nef, là où jadis devait se dresser l’autel pour ce que les moldus appellent divinité, se trouvait un gros bloc de marbre qui n’était pas en aussi piteux état que le reste de l’édifice. Tout au contraire. Ce qui était le signe qu’on y touchait souvent. Et une des seules raisons, au vu de l’éventration de l’ensemble de la bâtisse ne pouvait qu’être un passage secret. Lukas chercha de la pointe de sa baguette la première aspérité et la secoua lorsqu’il tomba sur le cran qu’il avait en tête.

Bingo. Comme dans les autres cavités. Le maquillage de l’entrée était changé à chaque fois, mais c’était la même forme de magie rudimentaire qui était employée à chaque fois. Le marbre se souleva paisiblement dans les airs, dans un bruit sourd, et dévoila un escalier en colimaçon qui descendait dans l’obscurité. Lukas s’y engouffra le premier, suivi d’Ivy. Murray fermait la marche.

Ils dévalèrent les marches aussi discrètement et rapidement que possible. Ils devaient trouver la crypte, et à en juger par les nombreux symboles qui défilaient à toute vitesse à mesure qu’ils poursuivaient leur course, ils ne devaient plus en être très loin.


Dans la crypte jonchée de dessins de cire, de peintures rupestres et de chandelles presque mortes, sous un capuchon noir, le grand Vicaire levait les bras au-dessus de sa tête. Il considérait gravement plusieurs pentacles, dessinés à ses pieds, en marmonnant les mots d’une langue maudite. Autour de lui, plusieurs sorciers se tenaient debout, faisant flotter dans les airs des runes que leurs baguettes avaient tracé juste au-dessus des cercles. Ils s’appliquaient à leur tâche comme des artistes peintre sur leur chef d’œuvre, jetant au grand Vicaire des coups d’œil approbateurs, encourageants et admiratifs.
L’un d’eux tressaillit lorsque trois cierges s’éteignirent soudain, sous l’effet de ce qui n’aurait pu être un courant d’air. D’un coup d’œil, le Vicaire le remarqua, et le reflet des flammes qui restaient allumées firent naître dans ses yeux un véritable incendie.

Des intrus étaient parvenus à s’introduire ici. Il tourna vivement la tête du côté gauche, ce qui eut pour effet de faire partir quelques cultistes en direction du corridor menant à la crypte, baguettes à la main, plus déterminés que jamais à en découdre. Ils ne pouvaient se permettre d’être interrompus, pas à un moment aussi critique. Le rituel de renforcement ne prospérerait que s’ils parvenaient à tenir encore sept minutes.

Sept minutes, et ce serait tout.


Lukas avait à peine posé le pied en bas de l’escalier qu’il se trouva cueilli par un sortilège qui le fouetta en pleine poitrine. Il manqua de chuter, mais Ivy le rattrapa, ce qui lui permit de répliquer instantanément à son assaillant.
- Sacré comité d’accueil ! tonna Murray, derrière eux.
Le groupe bondit en avant après avoir expulsé vers l’arrière les cultistes qui essayaient de les acculer dans la cage d’escalier. Tous trois dos à dos, ils se trouvèrent néanmoins rapidement encerclés par la horde qui pointait des baguettes menaçantes vers eux.
- Souvenez-vous qu’ils médiocres duellistes, avait dit Lukas quelques instants plus tôt alors qu’ils se trouvaient encore dans l’escalier. Ses recherches lui avaient permis de parvenir à ce postulat. Les cultistes de basse besogne ne sont bon qu’à nourrir les rituels de leurs flux, les vrais adversaires sont les Maîtres Cultistes. On ne les rencontre pas tout de suite sur le terrain. Ce qui signifie…
- Pas de temps à perdre avec la bleusaille, avait répondu Ivy avec perspicacité.

Ce qu’ils firent.
Peut-être que leur offensive synchronisée avait été un peu disproportionnée à la circonstance, mais ils ne pouvaient se permettre de perdre du temps avec ceux qui leur barraient la route vers leur cible ultime. Il fallait atteindre le Grand Vicaire, et vite, car chaque minute qui passait était du temps consacré à nourrir le Brouillard.
La horde à terre, Murray désigna de sa baguette le fond du couloir, sur la gauche duquel de la lumière scintillait de manière inquiétante. Une lumière qui n’avait rien de chaleureux, et évoquait plus volontiers l’enfer.

L’entrée dans la crypte ne se fit pas sans mal, puisque l’agitation du couloir avait attiré l’attention d’autres cultistes, sortis en petits groupes pour tâcher de les empêcher d’avancer. Mais que ce fut-ce la force de Murray, l’habileté d’Ivy ou la dextérité magique de Lukas, ils ne virent rien venir, bien que prévenus, et furent tous mis au sol les uns après les autres.
Une douleur cinglante piqua la jambe de Lukas pendant un temps très bref, mais suffisant pour le déséquilibrer. Il s’appuya contre le mur pour éviter de choir, serra les dents, le poing et se remit en marche. Ce n’était pas le moment de flancher.

- Ravi que vous ayez pu nous trouver, lord Rainforth.
Le sourire du Grand Vicaire se devinait sous son capuchon, lorsque les trois sorciers entrèrent dans la crypte pour lui faire face. A ses côtés se trouvaient deux sorciers, en plus de ceux qui, inquiets, maintenaient les chandelles et runes enchantées en l’air d’une main de plus en plus tremblante.

Il leur restait trois minutes avant que le rituel ne soit complet.
L’affrontement était inévitable.

Ivy et Murray n’eurent pas besoin d’attendre les ordres de Lukas pour se jeter sans retenue sur les cultistes qui nourrissaient le rituel, autour des pentacles. Le sang-pur de son côté se vit bondir dessus par les deux cultistes qui encadraient le Grand Vicaire. Leurs mouvements et leurs poses de duel lui indiquaient qu’ils étaient certainement bien plus habiles sorciers que leurs congénères. Le Maître Cultiste, de son côté, avait baissé les bras, mais ses paumes étaient toujours tournées vers le plafond de la crypte, et ses lèvres continuaient de psalmodier leurs infâmie.

Ivy reçut un sortilège en plein dans l’estomac qui lui coupa le souffle et lui arracha un gargarisme rauque. Attaquée par trois personnes, elle était parvenue à désarmer le premier mais ses petits camarades n’en demeuraient pas moins pugnaces.
- Vous me gonflez, articula-t-elle quand elle fut en mesure de s’exprimer, ce qui réveilla un chatouillis nauséeux dans son ventre.
D’un geste rageur, elle para plusieurs sortilèges qui lui fondaient dessus, en traître, et d’un sortilège de propulsion chirurgical, elle projeta l’un de ses assaillants sur un mur, ce qui l’assomma sur le coup, une trace de sang coulant de son front. Quant au dernier, s’il la blessa par plusieurs occasions, elle réussit à le suspendre dans les airs, à la renverse, avant de le stupéfixer.

Murray, de son côté, avait été délesté de sa baguette, mais les cultistes auteurs de ce méfait comprirent rapidement leur erreur. Une baguette leur aurait eu moins permis de tenir le colosse à distance, mais il était rapide, bien plus rapide que sa taille ne le laissait penser. Ils n’eurent même pas le temps de lui jeter le moindre sortilège qu’ils se trouvèrent chacun giflés, bousculés, cognés par les bras et mains énormes de ce gigantesque sorcier aux allures de demi-géant. Alors qu’il était parvenu, non sans essuyer lui-même plusieurs blessures et hématomes, à mettre à terre la plupart de ses adversaires, il saisit le visage du dernier dans son énorme main, et lui couvrit la bouche et le nez, jusqu’à ce que le malheureux s’évanouisse par manque d’air. Dès qu’il eut récupéré sa baguette, il se précipita, aux côtés d’Ivy, pour venir prêter main forte à leur maître.

Lequel se trouvait malmené par les deux duellistes qui ne lui laissaient aucun répit, alors que sa jambe se réveillait malheureusement déjà. Une douleur aussi cinglante que si on lui plantait une lame chauffée à blanc dans la cuisse et dans les lombaires se fit sentir, ce qui le déconcentrait trop dans un combat où il était seul contre deux. Il fut aisé pour ses adversaires de le projeter en arrière, de l’égratigner, de l’envoyer valser. Cependant Lukas revenait toujours à l’assaut, paraît, envoyait sortilège sur sortilège qui les atteignirent presque tous à chaque fois. Difficile néanmoins de ne pas se concentrer sur un seul adversaire à la fois : quand l’un d’eux reculait, l’autre prenait le relais, ce qui permettait du repos là où le sang pur n’avait aucun répit.

L’arrivée de Murray et d’Ivy fut salvatrice, et bientôt, les deux cultistes furent tenus en respect, balayés, et envoyés avec fracas dans les bras de Morphée.

Une minute.
Le Grand Vicaire souriait, tandis que sa main s’accrocha furtivement à sa baguette.
- Qu’allez-vous faire, Maître Rainforth ? Vous arrivez trop tard, il vous sera impossible désormais d’empêcher l’accomplissement du rituel.
Les flux magiques récoltés en les cultistes semblaient battre dans les traits des pentacles tracés au sol, comme palpitait du sang dans des veines.
- Ivy.
La jeune femme baissa la baguette avec laquelle elle tenait, elle aussi, en joue le Grand Vicaire, pour s’emparer d’un carnet dans lequel elle s’empressa, à toute vitesse, de reproduire ce qui se trouvait sous ses yeux.
- Quel dilemme, n’est-ce pas ? articla le grand Vicaire avec satisfaction. Tout détruire, pour empêcher le rituel de s’accomplir, mais par là-même risquer de voir s’évanouir les très précieuses preuves que vous récoltez çà et là depuis des semaines.
Devant l’air effaré de Murray, le Maître Cultiste ne retint pas son rire.
- Oui, je sais beaucoup de choses.
- Vous n’avez pourtant pas été très subtils, pour une secte qui se sait surveillée et traquée. Je reconnais bien-là votre amateurisme.
Trente secondes. Le Vicaire ne se départait pas de son sourire. C’était presque fini. Ce fut l’instant où Ivy choisit de se redresser, annonçant qu’elle avait ce qu’il lui fallait.
D’un geste très ample du bras, Lukas fit tournoyer sa baguette autour de lui et lança, d’une voix bien claire :
- Incendio maxima !
- NON !
Le Vicaire voulut lancer un sort à Lukas, mais il fut aussitôt désarmé par Murray. Alors que les flammes commençaient à tout dévorer autour d’eux, Lukas les fit transplaner à nouveau dans la nef, là où ils avaient abandonné quelques minutes plus tôt les trois inefficaces sentinelles.
- Quel idiot, ricanna le Maître Cultiste, dans un étrange mélange d’hilarité et de désespoir. Vous avez peut-être interrompu notre rituel, mais que faites-vous de vos preuves ? Ce n’est pas avec quelques notes que vous convaincrez qui que ce soit de mes mauvaises actions…
- Tout dépend qui les prend, fit remarquer Murray, parfaitement détendu, bien que le cocard qu’il portait à l’œil droit lui fasse perdre un tantinet de charisme.

Lukas sourit pour lui-même. Il avait personnellement recruté Ivy à l’issue d’une audience pénale du Magenmagot, pour laquelle elle était jugée pour faux et usage de faux. Cette fille devait compter parmi les meilleurs faussaires de Grande-Bretagne, et ce don était d’autant plus remarquable qu’elle disposait d’une mémoire d’éléphant. Il lui suffisait de prendre note de quelques points repères, et elle était capable de reconfectionner tout l’ouvrage.
- C’est vous dire à quel point toutes vos inscriptions insanes nous ont menées droit jusqu’à vous.
Ivy, qui avait tout copier sur ordre de Lukas, lui avait permis de comprendre que tout était comme une histoire savamment écrite, et racontée. Dès lors il put retracer le chemin suivi par la secte, car les cavités se répondaient, dans ce qui ressemblait à un immense réseau nourricier destiné à alimenter le Brouillard.
- Un vrai jeu d’enfant.
Le Grand Vicaire, avant de s’évanouir, n’eut le temps de voir que la semelle de Murray qui lui fonçait droit sur le nez.


- Est-ce que ça vous convient Monsieur ?
- Oui, répondit Lukas en posant sa tasse de thé sur son bureau. C’est parfait.
Ivy envoya flotter, au milieu du reste du tableau de preuves, la retranscription complète de ce qu’elle avait lu dans la crypte. Le sang-pur se leva, sans oublier sa canne, eu égard aux difficultés immenses que sa jambe avait rencontré pendant la mission. Il lui faudrait augmenter les doses… urgemment. Une fois devant le tableau, son visage s’illumina. Tout était limpide désormais.
- Le rituel de la crypte était destiné à alimenter trois points stratégiques du Brouillard. Sans doute des points vitaux.
- Alors, ça veut dire que nous avons empêché que cette saloperie se recharge à fond ? interrogea Murray.
- Non, répondit Lukas d’un ton laconique. Nous avons empêché sa complétion. Mais je crains que l’ouvrage nous ayant précédé ne lui ait permis de retrouver des forces.

D’un coup de baguette, tous les éléments de l’enquêtes s’envolèrent, de manière ordonnée, jusqu’à une mallette qui baillait largement sur le sol. L’heure était venue d’emporter le tout au Ministère, et de faire le rapport tant demandé.
- Ça va être la guerre, alors ? demanda Ivy, particulièrement résignée.
- En effet. Mais pas pour nos invités des sous-sols.
De sa canne, Lukas frappa deux petits coups sur le parquet. Un sourire malsain se dessina sur les lèvres de Murray, qui se réjouissait d’avance de l’ordre qu’il allait recevoir.
- Sors-les des cachots, fit Lukas avec désinvolture. Je te laisse la voiture, ce sera plus commode pour les emmener où nous allons. Je pars devant.
Ce disant, Lukas se coiffa de son chapeau, et la mallette fermement en main, transplana jusqu’au Ministère.