Le vent frais glisse entre mes plumes comme tes doigts sur ma peau après l’effervescence, Arthur. La lune n’est pas encore pleine aujourd’hui, j’ai pu m’envoler sans inquiétude. Et je reviendrai suffisamment vite pour reprendre les choses là où nous les avons laissées. L’éclat blanc d’un cygne dans le ciel, qui s’en étonnerait aussi tard dans la nuit ? Les rues sales n’accueillent plus que quelques ivrognes vidés de leur argent et recrachés précipitamment par les bars voyant l’heure de la fermeture arriver.

Tout en bas, les allées s’enchaînent dans le silence de la nuit. À travers les nuages, je glisse entre les courants à la recherche de ma destination. Là, le bastion. Si la couleur de mes plumes pourrait attirer l’œil de nuit, mes atterrissages en toute légèreté m’assurent toujours une discrétion absolue lors des infiltrations. J’attends un instant, le cou arqué, les yeux fixes avant de perdre mes plumes et retrouver la sensation de la nuit sur ma peau diaphane. Perché sur un toit, l’ange remplace le cygne. Et la baguette entre mes doigts.

Les ténèbres me dévorent dans un tourbillon lorsqu’en bas, finalement, une silhouette suspecte brise l’immobilité de la nuit à glisser entre les bâtiments sombres pour rejoindre celui que j’observais depuis les toits. Ma baguette pointée s’enflamme, l’homme s’effondre, appelé soudainement au néant par un éclair de stupéfixion. Un nouveau mouvement de poignet, le corps se déplace à l’abri des regards indiscrets et quelque-uns de ses cheveux viennent se noyer dans une flasque qui épouse aussitôt mes lèvres. Sa baguette contre ma paume, je remplace mon visage et mes vêtements par les siens avant de me jeter dans la gueule du bastion qui n’attend plus que moi et la fureur au bout de mes doigts.

Je suis lui, sans sa voix, sans sa vie ni aucun de ses souvenirs. Une parfaite imitation dans un corps que je ne reconnais pas. Plus petit, moins brillant mais pour une heure seulement. Une heure pour mettre un terme à ce qu’il se passe ici, c’est court. Une heure sans jamais être démasqué, c’est long. Mais ce n’est pas la première fois. Depuis l’été, je porte l’insigne officielle, la formation est terminée et le Ministère me fait confiance. Ce n’est pas aujourd’hui que je compte décevoir sa grande gueule pleine de papier.

Mes nouvelles iris peinent à s’habituer à l’obscurité. Les vagues dans les miennes me manquent déjà. À l’intérieur du bastion, les bougies qui transpirent de cire sont légion. D’expérience, je sais que je suis à la bonne adresse. J’ai pris l’habitude de les affronter depuis l’avènement du Brouillard, leur organisation n’a pas changé. Sans un mot, les sorciers à l’entrée m’ont laissé passer après un simple regard sur mes yeux et ma baguette. Débutants, l’apparence n’a jamais fait une identité. Chez les aurors, nous le savons mieux que personne.

Le long d’un couloir froid, la faible lumière rougeoyante est ponctuée de flammes vertes de sorciers qui apparaissent dans des cheminées. Et tous se mêlent au groupe, au rythme d’un pas unidirectionnel. Je singe leur regard, je singe leur comportement, la baguette dérobée dans ma manche qui tape mon poignet. Les cultistes sont silencieux, j’ai le temps de reconnaître certains profils activement recherchés. Mes yeux s’agitent alors qu’on se rassemble autour d’un cercle de feu. Au centre, celui qui semble mener l’orchestre laisse échapper une voix d’outre-tombe sous son masque, sa baguette pointée sur un corps inerte, allongé sur une table d’acier.

Mes frères, mes sœurs, nous sommes rassemblés ce soir, et la suite sur un ton terriblement solennel. Le gourou sait parler autant que ses adeptes savent l’écouter. Je joue le jeu et disparais dans la masse rassemblée autour de la table et du corps. Celui que j’ai emprunté passe inaperçu, immobile, la respiration réglée comme la pulsation nette d’un métronome alors que l’effervescence embrase mon esprit. Un, cinq, dix, quinze, mes pupilles comptent le nombre de cibles à éliminer alors que le discours devant moi s’éternise. Je n’en perds pas un mot pour autant. Le puzzle se reconstruit. C'toht, les sacrifices, la magie noire, la mort et le Brouillard.  

Le flot de parole finalement s’interrompt. Je comprends aussitôt que l’heure du sacrifice est arrivée et que sans intervention, le corps endormi ne le sera plus pour très longtemps. La baguette du gourou pointe sur la poitrine de la victime dont j’ignore tout jusqu’à l’identité, la mienne glisse lentement de mon poignet à la paume de ma main. L’autre ouvre la bouche prêt à siffler son incantation, la mienne est informulée. Maintenant. Mon mouvement de baguette est adroit, celle du gourou s’envole d’entre ses doigts, surprenant les cultistes qui crachent des exclamations.

Bureau de Aurors, lâchez vos baguettes, vous êtes en état d’arrestation ! Uniquement pour la forme sachant qu’aucun de ces gens-là ne se rend jamais. TUEZ-LE ! Je commence à en avoir l’habitude. Stupéfix ! L’éclair de lumière fuse de ma baguette et foudroie un cultiste à mes côtés qui décolle violemment du sol. Un de moins. Et les autres n’ont qu’à faire la queue. Dans la petite pièce, le choc des sortilèges commence à résonner et leur éclat illumine la chorégraphie des corps qui luttent avant de finir par tomber, eux aussi, écraser par la précision de ma baguette en feu.

Le choc des sortilèges ne fait-il pas la plus belle percussion d’un orchestre ? C’est comme cela que je vis chaque duel, au rythme d’un battement à deux temps jusqu’aux trois d’une valse pour les plus passionnants. Chaque baguette déchire l’air à sa façon comme l’harmonie entre le souffle des flûtes et les cordes des violons. Les nuances s’accordent pour faire vivre la mélodie, le tempo s’emballe quand la fièvre monte et lorsque finalement l’apothéose jaillit, seule la baguette du chef d'orchestre fouette encore l’air.

L’odeur de brûlé et de poussière ont gonflé mes poumons. Dans la salle sacrificielle, les bougies ne sont plus les seules à s’être enflammées. Dans ma poitrine, mon cœur danse encore, gonflé par l’adrénaline et la passion des derniers sortilèges informulés. Les cultistes ont été écrasés par la force du Ministère, l’élite notée fièrement à ma poitrine. Tous respirent encore mais plus aucune baguette n’harponne leurs mains pour la plupart ligotées dans leur dos. D’un geste souple sur mon épaule, j'époussette les vêtements dans lesquels j’ai remporté une nouvelle victoire au nom de la Justice.

Le temps a glissé dans le sablier, l’heure s’est écoulée et sans douleur aucune, je sens rayonner de nouveau la clarté de ma peau. Je récupère les traits angéliques de mon visage et les lagons dans mon regard, sous ceux ébahis de quelques cultistes encore conscients. Un… un ange… au... au Ministère… Je ne réponds pas. Dans un mouvement aérien, j’invoque un cygne d’argent qui ouvre ses ailes pour rejoindre les unités de renfort en chemin. Mise à l’abri pendant la bataille, je rejoins celle qui aurait pu être sacrifiée et assure les premiers soins avant de l’extraire du bâtiment, dans mes bras. À l’extérieur du bastion, caressé par le souffle de la nuit, j’observe la réverbération des rayons de la lune sur ma peau retrouvée avant de disparaître dans un tourbillon de ténèbres. La mission est une victoire, la mission est terminée.