Mal, affreusement mal ; dans tout le corps, dans chaque recoin de l’âme ; mal.
Pourri, déchiré jusqu’à l’os, il fait froid.
Le cœur brisé comme un macchabée; en miettes.
Le cœur évidé, arraché, si écrasant.
Lourd comme un cadavre écroulé.
Le goût du sel et du sang.
Respiration suffocante.
Le fardeau de la Mort.
Noyé ; ou presque.

Je reprends connaissance à plusieurs reprises, comme je perds mes esprits autant de fois. Il fait noir. Un vent froid chargé d’embruns déferle sur moi. Des vagues agacées me battent le corps. Il fait froid. Je ne sens rien, sinon ce poids, sinon ce vide terrifiant. Noir.

Quand je rouvre finalement les yeux, au prix d’un effort qui me semble incommensurable, je découvre une étendue déserte de sable et de gravier. J’ai le corps meurtri de douleurs latentes qu’une première tentative pour me redresser réveille aussitôt. Mes lèvres sèches, craquelées, scellent un cri sous leur cachet hyalin. Je suis cloué sur cette plage. Cet écrasement dans ma poitrine n’a toujours pas disparu. Un trou béant. Comment le vide peut-il être si lourd ? Je ne sais pas encore qu’il me faudra attendre -ou plutôt vivre, des années durant avec pour que ce creux oppressant se résorbe en une fissure stridente.

Je pousse de toutes mes forces sur mes bras faibles pour m’arracher à la grève. Je rampe péniblement sur les débris coquilliers polis et aigus, mes coudes enveloppés dans les manches blanches de ma chemise délavée. Je parviens à m’extraire de l’écume qui fane sur mes bas de pantalon et à me ramasser sur moi-même pour m'asseoir tant bien que mal. Étourdi, je regarde la mer qui continue à me cracher dessus comme elle m’a déjà vomi sur cette langue de sédiments grossiers. Blanc.

Où suis-je ? J’ai l’esprit torpillé de maux, parasité d’un capharnaüm de pensées blessantes plus indigestes que le monde. C’est un Babel tonitruant ; quelques éclats percent ce désordre infernal, fulgurant et rugueux.

Une mer enragée, bouillonnante d’écume sous les aquilons colériques, affutait en contrebas les écueils de basaltes noirs pour y accueillir les morceaux de mon âme dépecée et désespérée qui n’attendait plus qu’un doux linceul l’eut emporté là où tout n’est plus que silence pour toujours. Un ciel suffoquant de nuages si bas qu’ils bouffaient l’horizon, si sombres que le voile de Mort s’était refermé sur ma tête. Pas même l’once d’une subtile appréhension face à cette envie de crever, juste le désir que mon supplice prit fin là, et rien d'autre, que les profondeurs obscures engloutissent mon corps et diluent ses restes.

Toi, Déesse, qui m’abandonne ici à une vie à tout jamais terne et sans éclat pour gagner des lieux dorés qui resteront inaccessibles à l’être de chair que je suis ; je veux mourir que tu m'accueilles là-bas. Toi, Nymphe, une lame de fond au flot brutal vient de raser nos espoirs et nos espérances ; le jusant se retire pour dévoiler un théâtre dévasté que le sel a stérilisé. Toi, Céleste, mon amour est orphelin de ta mélodie de vie, veuf des arômes de ton existence. Toi, Sirène, pourquoi a-t-il fallu que je t’aime si tu meurs avant moi ? Déjà ton visage se grise, ton chant se grippe et leurs souvenirs s’estompent dans mon esprit supplicié pour ce vide insoutenable.

J'erre désormais, apathique et sans but sur cette Terre sans couleur, seul, terriblement seul. Il n’y aura pas de demain sans Toi ; si demain pour Lui doit être sans Toi, alors il sera également sans moi ; jamais Il ne saura qui nous fûmes et je lui préfère cela à une vie en ton absence. Alors mes pas me portent, miséricordieux, vers la mer.

Toi, frêle lumière inébranlable dans le brouillard épais et morbide de mon chagrin, tu rayonnes l’Amour et la Joie pour qu’ils me guident à travers ces miasmes putrides depuis la tombe jusque ton berceau. Bientôt tu illumineras mes jours de tes gazouillis et de tes rires. Ton enchantement puissant tiendra en respect afflictions et peines. Tu porteras pour nous le poids de notre deuil, et tes mains d’enfant ne porteront jamais la charge de la résignation devant notre privation.

Fils chéri, arrache-moi au trou de l'enfer d’où je me suis précipité pour la suivre, élève-moi en héro de dans tes yeux que mon âme égoïste soit ainsi épurée au contact de la tienne. Mes tourments ne feront pas les tiens Tu auras de moi la dévotion la plus parfaite. Mon corps sera ton rempart contre les coups et, à la force de mon sang, je briserai notre malédiction filiale. Tu respires, mon cœur bat.