Il prenait des risques, l'ancien gardien, en revenant dans les environs de Poudlard. On connaissait sa pogne dans le coin, et il n'était pas à l'abri de retombées des suites de ce qu'il s'était passé à la fin de l'été sur les Embrumes. Mais une force impérieuse l'avait porté à prendre ce risque. Ils étaient peu, les gens sur ce malheureux caillou solitaire en train de se refroidir et tournoyant dans l'Univers, à compter comme cela pour Gaspard et à avoir à ses yeux un intérêt suffisant pour qu'il consente un effort de loyauté à leur égard. Wesley était de ces quelques uns. Le jeune sorcier attendait son ami, toujours prisonnier des bancs de classe dans ces vieilles pierres qui s’élevaient vers le ciel au loin, à l'ombre d'un pin qui bordait la rive nord du Lac noir. L'hiver s'était bien établi ici par rapport à Londres ; l'eau de la berge avait gelé entre les galets blancs, et un tapis immaculé étouffait le paysage.

Il avait dans les mains deux cups de café au lait fumant, une pour lui, l'autre pour le Serdaigle. Ce n'était pas tellement dans ses habitudes, ces petites attentions, mais pour le coup, il y avait longtemps qu'il l'avait vu alors... Et puis peut-être cherchait-il à se faire un peu pardonner ? Ce n'était pas le genre du garçon non plus. Il fallait bien avouer qu'il avait tarder à répondre au courrier de son ami. Un tas de lettre reçu semaine après semaine, auxquel il s'était promis de répondre mais que les circonstances particulières de la vie depuis son retour discret en Angleterre avaient empêché ; telle était sa bonne excuse malgré les tourments et la crise existentielle que son ami semblait vivre -ou avoir vécu ? à son retour en solitaire en Septembre dernier à Poudlard. Un peu de mauvaise foi aurait suffit à dire qu'il n'avait qu'à pas se faire que des amis plus âgés que lui, ou encore qu'il pouvait gérer ça avec son chienchien de petit ami -l’horripilant monsieur parfait, Hélios Ellis.

Voilà ce qui trottait dans la tête de Gaspard alors que le soleil, timide derrière de gros nuages quittait son zénith. Ça, et le combat qui l'attendait ce soir sur le ring. Il avait encore des ecchymoses sur le visage. Comment présenterait-il tout cela à Wesley ? Peut-être qu'il n'aurait pas à en parler. Il était ici pour son ami après tout, pas pour lui.

Il devait bien le reconnaitre, l'ancien Gryffondor, à sa grande surprise, ce rivage et sa vue lui étaient d'une familiarité insolente. Lui qui avait été si désireux de quitter Poudlard après sa septième année désastreuse, il se retrouvait là, au bord du lac noir, à attendre son ami, comme tant de fois, et ça lui faisait du bien. Il ne se sentait pas vraiment inquiété d'être ici, comme si c'était un petit peu chez lui finalement au même titre que chez Keith. Après sa découverte décevante en Afrique du Sud cet été, cela n'avait pas grand chose d'étonnant finalement. Peut-être finirait-il par se sentir chez lui dans le minuscule local miteux attenant aux vestiaires du ring qu'on lui louait, qui sait ? Gaspard entendit des pas précipités sur les galets gelés qui brisèrent sa rêverie et attirèrent son attention. Wesley était là. Un sourire illumina son visage abîmé. Hey... Il n'eut pas vraiment le temps de lever son gobelet pour le proposer à son ami que celui-ci lui tombait dans les bras.

C'était bizarre comme sensation, ce rapport intime à quelqu'un que l'on prenait dans ses bras. C'était à chaque fois différent, de ses mères et ses tantes -en tout cas du souvenirs qu'il en avait, de Keith, d'Ezra... Il serra Wesley dans ses bras, envahit du contentement de le revoir. Gaspard ne s'attendait pas à une telle satisfaction ; peut-être avait-il tendance à minimiser ses sentiments vis-à-vis d'autrui pour se convaincre qu'il pouvait s'en passer ? Rendre l'éloignement, la distance et le vide que ça créait plus supportable ? L'émotion du Serdaigle, palpable, était communicative -même si Gaspard ne pouvait pas en faire la démonstration. J'suis increvable, tu l'sais bien. Les deux amis s'observèrent un peu, après des mois s'en s'être vu. Wesley avait maigri non ? Son visage semblait plus angoissé qu'avant. Était-ce à cause de lui ? Gaspard avait la tête pleine de questions pour son ami. Contrairement à ce que son absence de réponse épistolaire avait pu laisser penser, il se demandait ce que le Serdaigle avait fait de ces derniers mois, et surtout de comment il allait -même s'il en avait une légère idée. Ce fut le Serdaigle qui brisa en premier le silence. Gaspard éclata de rire. On n's'est pas vu d'puis six mois, et tout c'que tu trouves à m'dire, c'est qu'j'suis encore plus moche ?! Le sourire jusqu'aux oreilles, l'ancien Gryffondor fourra entre les mains de Wesley son gobelet de café au lait. Connard va ! Et il lui colla une tape amicale dans l'épaule. Toi aussi, Wes, tu m'as manqué. Je suis content de t'voir.

Gaspard s'assit sur un rocher après en avoir chassé la neige d'un revert de la main. Alors, disons que... Ca n'a pas été simple ces derniers temps. Que pouvait-il dire à Wesley ? Pas toute la vérité évidemment, au risque de se mettre en danger. Car si pour l'instant rien ne semblait indiquer des représailles de McGraham ou le moindre avancement dans l'enquête du Ministère -l'effondrement dans les Embrumes avait fait la une des journaux, Gaspard préférait se montrer prudent. Après, si Wesley lui posait des questions, il y répondrait honnêtement ; hors-de-question de mentir à son ami. J'en ai bavé, et j'ai faillit y passer. Et pas qu'une fois. J'sais pas si c'est une bonne idée d'parler d'tout ça. J'veux dire... J'sais pas si ton p'tit cœur est prêt, ahah ! Gaspard ne pouvait pas s'empêcher de charier le Serdaigle. Il reprit un air plus concerné. Comment tu vas, toi ? Parce que dans l'courrier qu'tu m'as envoyé, tu respirais pas la grande forme quand même. C'est de la faute de cet abruti d'Hélios c'est ça ? Là, Gaspy se dit qu'il abusait sans doute de dire une chose pareille. De ce qu'il avait lu dans le courrier de Wesley, celui-ci ne demandait qu'à avoir de ses nouvelles à lui. Il était fort probable qu'Hélios et Lilwenn aient été les seuls -en dehors de la famille Roy, à vraiment s'inquiéter pour Wesley. Gaspard n'avait pas géré et tendait le baton pour se faire battre. Ce serait mérité. Il s'était comporté avec lui comme Ethan l'avait fait quand il était parti du jour au lendemain. J'suis désolé d'pas t'avoir écrit, Wes. Gaspard jouait toujours le caïd mais en réalité, il était plutôt pathétique. En vérité, il avait eu la trouille de laisser un indice et qu'on le retrouva. Sincèrement désolé...

Humm, normal que Wesley eut envie de savoir puisque tout ça avait forcé Gaspard au silence et à la plus grande des discrétions des mois durant. Gaspy n’avait jamais de problème à ne pas tout raconter à son ami. Sa dernière année à Poudlard avait été difficile et il avait gardé pour lui beaucoup de choses, ne souhaitant pas inquiéter le Serdaigle, et surtout ne souhaitant pas recevoir de lui de la pitié. Selon ces deux critères, il jugeait de ce qu’il lui racontait ou non. Mais aujourd’hui, c'était un peu différent. Il aurait aimé lui raconter, mais Gaspard se demandait si le regard de Wesley sur lui ne risquait pas de changer définitivement s’il le faisait ; s’il ne prenait pas le risque qu’il lui tourna le dos.

D’ordinaire, Gaspy ne se serait pas soucié de ça. Non pas qu’il ait une confiance absolue en la loyauté de Wes, mais plutôt parce qu’il aurait jugé ça comme pas important. Ethan s’était déjà tiré sans un mot, il lui suffisait de le prendre de la même manière. Mais avec ce qui s’était passé ces derniers mois, Gaspard espérait pouvoir compter Wesley comme un ami sincère encore longtemps. Il en avait peu et Wesley restait le dernier d’entre eux qui pouvait lui offrir un salut, un vrai. Pas Ezra ni Léto ni Madd, seulement lui. Ce qui lui conférait une préciosité qu'il ne pouvait pas soupçonner. Tu risques d'déchanter un peu. Gaspy eut un petit rire nerveux. J'suis pas un enfant d'cœur... Ca Wesley le savait bien. Mais pouvait-il réaliser ce que cela signifiait vraiment ? J'peux pas "m'échapper" comme tu dis parc'que p'tit un, j'ai un engagement à t'nir, et p'tit deux, parc'que j'ai pas trop envie.

Gaspard eut un sourire un peiné. Ouais, tout ça n'était pas très légal. Il pointa Wesley du doigt. Bingo. Il aimait pas trop passer pour un voyou à deux balles aux yeux de Wesley, il qui l'avait admiré ces dernières années. Gaspard se fichait bien autrement de ce que les autres pouvaient en dire et en penser. J'boxe. Il but un gorgée de son chocolat chaud. Autant lui dire cette vérité déjà, du reste, il verrait plus tard. J'boxe en underground à Londres. C'pour ça tous les... Il passa sa main devant son visage. Tous les bleus. Et puis j'rend que'ques services au tenancier, à l'occaz'. Ca paie bien. Plutôt bien même. Alors pour l'moment, j'continue, j'met d'la thune de côté, pour plus tard. Même s'il ne comptait pas partir tout de suite. Pour tenir son engagement d'une part, comme il l'avait dit, mais aussi parce qu'il prenait son pied dans cette affaire. C'était plus simple et mieux payé qu'à la brigade magique ou même que dans un groupe privé de sécurité. Du reste, dans le monde du duel sportif ou du quidditch pro, il n'y croyait plus. C'était pas des mondes dans lesquels les mecs comme lui avaient la possibilité de s'y faire une place. Pas d'argent, pas de nom, pas de soutien, sinon un vague talent qui ne tenait pas du génie pour se démarquer de la masse de candidats. C'était assez pitoyable somme toute.

Alors forcément, venir critiquer Hélios, c'était juste très con. Ok, ok, my bad ! Gaspard leva une main en guise de reddition légèrement comique. T'es trop in love, c'pas possib'. En même temps, comment pourrait-il en être autrement ? Sérieusement, Hélios était un ange doublé d'un golden retriever. Soit on l'aimait de ouf, soit on le haïssait comme jamais, il n'y avait pas d'entre deux possible -je vous laisse imaginer de quel côté penche Gaspard... Heureusement qu'il est là, oui. Gaspy ne pouvait qu'approuver ce que disait Wes. Il valait mieux pour lui qu'il traina davantage avec ce cabot qu'avec lui ! Ca n'sert à rien d'comparait. Ta situation t'affecte, j'suis sûr qu'tu m'dit qu'ça va mieux juste pour pas qu'j'me fasse de mouron alors qu'c'est pas vrai. S'sentir seul, c'pas rien. Et ça peut arriver même quand on est bien entouré, comme Gaspard après les évènements du brouillard. On est loin de problèmes superflus ou bourgeois. On touche directement à ce qui fait de nous des êtres sociaux, sensibles et doués d'affections. Wesley méritait juste d'être heureux. J'f'rai un effort pour t'écrire. Pas sûr que de dire qu'il s'agissait d'un effort soit très sympa mais bon... Dans la bouche de Gaspy, ça l'était. Il lui donna une petite tape dans le dos. Tu comptes faire quoi l'année pro ? Tu vas vivre avec Hélios ? Pour former vot'meute ?

Pour sûr ! Mais pour aller où ? Et pour y faire quoi ? Peut-être que toutes ces manigances ne servaient qu'à cela, s'échapper, se soustraire, éviter l'inexorable et impitoyable évidence qui broyait les petites âmes : à quoi allait-on occuper ces années de vie sur ce caillou cosmique ? A quoi bon, dans quel but, pour qui ? Autant de questions sans réponse pour Gaspard que les désillusions aussi brutales que violentes avaient fini par désabuser. "plus tard", c'était juste plus tard. C'était pas un projet, même si ça pouvait sembler le microscopique début d'un petit et ridicule quelque chose. Alors pour sûr qu'il finirait par mettre les voiles mais quand et pourquoi, pourquoi faire, ça, il en avait pas la moindre foutue idée. C'était son luxe à lui, éparpiller son temps.

Toujours était-il que ça ne semblait pas beaucoup plaire à Wesley. Evidemment que ça ne plaisait pas à Wesley, et évidemment que Wesley ne le dit pas et gardera pour lui son inquiétude devant l'étendue de son impuissance. Gaspy put le lire dans ses yeux, ce tourment, et le sentir dans son instinct animal. Il ne lui avait pourtant pas dit grand chose sinon rugosité apparente et superficielle de ce qu'avait été réellement ces derniers mois : tentative d'homicide, homicide involontaire peut-être, destruction du domaine public, tentative de corruption, intimidations, coups et blessures, trafic en bande organisée... Gaspard ne put se résoudre à lui en dire plus. Il le mettrait certainement en danger. Aussi changer de sujet n'était sans doute pas totalement idiot.

Wouf. Une imitation molle d'aboiement, un rictus moqueur sur le visage devant la mine de Wesley qui se rallumait. Comment il faisait, lui, et même tous les autres, comment ils faisaient pour avoir une vie normale, entourés de gens normaux ? Faudrait qu'il demande à Madd, il aurait surement une réponse. Une réponse, pas une solution. Il s'rait plus un camé sinon. La conservation ? B'jour la poussière. C'est un coup finir comme cette vieille chouette d'Humphrey ça... J't'imagine pas du tout là-d'dans. En vrai, si c'que tu veux faire c'est briseur de sorts, c'est pas une option manquée à l'école qui va t'en empêcher. Wesley était bien assez intelligent pour se donner les moyens de réussir. Encore fallait-il qu'il y croit et qu'il croit en lui. Et pis s't'es doué en runes, tu d'vrais pour t'démerder dans une formation d'briseur, non ? Peut-être pas après tout, Gaspy n'y connaissait pas grand chose à tout ça.

Il garda le silence devant la perspicacité du Serdaigle, un demi-sourire en miroir de celui de son ami. J'crois bien. Ce n'était pourtant pas un défaut de confiance. Il n'y avait pas de ça entre eux. En tout cas Gaspard voulait y croire. Qu'est-ce qui faisait la différence entre cette personne, à laquelle on est liée si fortement et à qui on ne peut se résoudre d'avouer certaines choses si terribles, et cet autre dont on était pas forcément plus proche, peut-être même moins, et à qui on se confiait finalement ? Un désir de protéger, si grand qu'il évinçait le reste même l'honnêteté et la sincérité, ou bien était-ce autre chose encore ? C'était terriblement frustrant. Pourtant ça n'empêchait pas d'avoir une foi aveugle en lui. Gaspard posa son poing contre l'épaule de Wes comme s'il el frappait.

T'es con. Sûr que si ça venait à déraper, c'était là-bas qu'il finirait, avec Ezra. Qui à part Wesley pour venir lui rendre visite ? Personne d'autre dont il pourrait accepter la venue dans ce lieu sordide. Gaspard se dit qu'il avait de la chance d'avoir un ami comme Wesley. Alors puisque l'instant était aux sentiments... J'en ai autant à ton égard, Wes. Où tu veux, quand tu veux, que'que soit la raison ou la cause. Pas même besoin de justification. C'était décidé. Il serait davantage présent pour son ami. Gaspard détourna la tête et écrasa de la neige entre ses doigts. Il était froid, le café au lait désormais. Les effusions de colère et de rage, ça le connaissait Gaspard, un peu moins les effusions de bons sentiments. Hum. Ca t'stresse d'habiter avec ton mec alors ? Curieux ça. Bon, fallait avouer que se projeter avec Hélios... brrrr ! Gaspy ne s'était pas posé la question avec Ezra. Enfin ils habitaient pas vraiment ensemble. Il n'y avait pas de mots posés. T'as peur qu'il pisse dans tous les coins d'l'appart ? L'image d'Hélios levant la patte devant chaque réverbère avait de quoi lui tirer un sourire radieux.