Ebenezer Schutz était un grand homme. De par sa taille, premièrement, mais surtout par son savoir. Véritable encyclopédie sur pattes, il avait été enseignant à Poudlard durant une dizaine d’années, avant de parcourir le monde à la recherche de “secrets comme on n’en faisait plus au Royaume-uni”, pour reprendre ses mots. Je l’aimais beaucoup. Il était pédagogue, sévère juste ce qu’il fallait.

Monsieur Schutz avait changé ma vie. La petite fille que j’étais avait découvert une passion pour sa matière : les runes. Travailler la magie pure pour lui donner des formes qui duraient dans le temps, c’était comme sculpter. Un art.

Et désormais, ce grand homme, qui avait créé une vocation, n’était plus. Il s’était éteint, dans sa maison, paisiblement, m’avait-on dit. Et bien que je ne fasse pas partie de sa famille, il avait laissé une lettre pour moi. Je serais venue à son enterrement de toutes façons mais à ma peine, s’ajoutait une pointe de curiosité. Pourquoi moi ? Je n’étais plus son élève depuis longtemps, et je n’avais pas fait de découvertes majeures, contrairement à lui.

J’étais venue seule, sans Lucas qui était à Poudlard. J’aurais bien aimé qu’il sache qui il était, au moins pour sa culture générale. Une cinquantaine de personnes s’était réunie dans le froid de l’Irlande du nord, pour accompagner monsieur Schutz dans sa dernière demeure. Tout le monde semblait en peine, et ceux qui pleuraient le plus étaient certainement sa famille. Sauf un homme restait de marbre. Comme s’il ne devait surtout pas montrer ses émotions. Il m’intrigua. Je me plaçai spontanément à côté de lui, et quand nos regards se croisèrent, je regrettai instantanément. C’était Corbus Ravenwood. Mon rival lors des cours de runes, un homme antipathique, un ex-taulard. Et je devais garder la face, étant donné les conditions. Je décidai de ne pas l’ignorer, ce n’était pas correct, mais j’optai pour le vouvoiement, pour annoncer la couleur :

“Vous ne l’avez jamais oublié, vous aussi ?”

Se remémorer des bons souvenirs, des belles choses qu’il nous avait fait vivre, c’était une manière de lui rendre hommage étalement. S’il y avait bien une personne avec qui je pouvais en parler, c’était bien Corbus, quoiqu’il m’inspirait à titre personnel.

Ebenezer Schutz avait été le professeur de runes de Corbus. L'ancien prisonnier avait toujours respecté l'homme qui avait su faire fructifier son talent. A l'époque, le professeur avait nourrit le cadet des Ravenwood de toutes les connaissances qu'il réclamait mais comme le jeune garçon qu'il était encore n'était jamais rassasié, la tâche n'en avait été que plus ardue. Le vieux Schutz cependant, avait parut trouver cela stimulant et s'était dévoué à lui proposer un nouveau sujet d'étude par semaine.

A la fin de ses études, Schutz avait proposé de lui faire des lettres de recommandation pour des apprentissages auprès d'experts des Runes mais Corbus avait refusé, préférant voyager pour faire son propre bout de chemin. Cette décision avait surement été l'une des plus grosse déception du vieux professeur mais ils avaient cependant continué à correspondre, même quand Corbus fut expédié en prison. Schutz avait alors été son contact le plus régulier s'évertuant à lui faire parvenir au moins une nouvelle lecture par semaine. Les runes avaient comblé le vide de ses journées enfermées.

Et aujourd'hui, alors que Corbus était enfin libre, Schutz était mort.

Le décès du vieil homme l'affectait plus qu'il ne le laissait paraître. Il s'était présenté à l'enterrement de lui-même, sans attendre la moindre invitation et n'avait pas affiché le moindre sourire tout au long de la cérémonie. Les proches de Schutz l'avait bien décrit, un homme juste, investi et amoureux des runes. Corbus n'avait rien de plus à ajouter si ce n'est qu'il était foncièrement loyal envers ceux qu'il avait un jour décidé d'aider. Comme lui.
Quand l'homme fut mis en terre, une voix interpella le fils cadet des Ravenwood qui se retourna pour entrevoir une femme, blonde, d'environ trente ans.

Yudith Drakenhof.

Evidemment.

"Excusez moi, on se connait vous et moi ?"

Il aurait pu se contenter de ça si un petit homme à lunette ne s'était pas approché d'eux : "Mrs Drakenhof, Mr Ravenwood. Je me présente, je suis Maitre Avison. Je suis responsable du testament de Mr. Schutz"

Il fit un petite courbette et leur tendit un paquet. Un écrit de rune le décorait.

ᚨ ᛗᛖᛊ ᛖᛏᚢᛞᛁᚨᚾᛏᛊ ᛈᚱᛖᚠᛖᚱᛖᛊ ᛈᚢᛁᛊᛊᛖ ᚢᛟᛏᚱᛖ ᚱᛁᚢᚨᛚᛁᛏᛖ ᚢᛟᚢᛊ ᛈᛟᚢᛊᛊᛖᚱ ᚨ ᛞᛟᚾᚾᛖᚱ ᛚᛖ ᛗᛖᛁᛚᛚᛖᚢᚱ ᛞᛖ ᚢᛟᚢᛊ ᛗᛖᛗᛖ, ᛖᛏ ᚨ ᛞᛖᚢᛖᚾᛁᚱ, ᛖᚾᛊᛖᛗᛒᛚᛖ, ᛞᛖ ᚷᚱᚨᚾᛞᛊ ᛖᚲᛊᛈᛖᚱᛏᛊ ᚱᚢᚾᚾᛁᚲᚢᛖᛊ

Antipathique, comme je disais. Comme dans mes souvenirs. Il n'y avait pas à dire, les gens ne changeaient jamais vraiment. Et dire qu'il était de sang pur, et que mes parents étaient sûrement en contact régulier avec des membres de sa famille. Je ressentis de l'animosité un bref instant. La détestation d'autrefois était un réflexe que je n'avais pas perdu. Mais encore une fois, j'étais venue pour rendre hommage au professeur qui avait changé ma vie. Il fallait rester digne. Je ne répondis pas à la provocation de Corbus.

J'allais tourner les talons quand un homme s'approcha de nous. De moi je supposais, car j'étais plus reconnue que mon voisin dans le domaine des runes. Mais la lettre nous était tous deux adressée. Je murmurai en lisant les mots, aussi naturellement que s'ils étaient écrits dans un alphabet latin :

"A mes étudiants préférés puisse votre rivalité vous pousser à donner le meilleur de vous même, et à devenir ensemble, de grands eksperts runnikues"

Je haussai un sourcil. Notre rivalité était éteinte depuis longtemps. J'avais poursuivi ma carrière. Pas Corbus. J'avais gagné. Mais pas de quoi en retirer quelconque satisfaction. C'étaient juste des faits.

Mais le message était trop basique. Quelque chose devait se cacher derrière. Sous l'enrobage du paquet. Je posai la main sur la rune pour l'éteindre, et le paquet émit un déclic. Le carton se désagrégea dans les mains du notaire (?) et une structure en bois cubique se révéla, de même que l'aura magique qui désormais en émanait. Les pièces, gravées, découpées, formaient un contenant dont quelques trous laissaient découvrir une sorte de flasque en verre, dans laquelle flottait un bateau à voiles. Qu'est-ce que cela voulait dire ?

"C'est pour nous ? Je veux dire : nous deux ?", demandais-je au notaire ? Il hocha la tête.

Allons bon. Je me voyais mal faire équipe avec mon ancien rival alors que je portais le deuil. Je n'aurais pas la patience. Mon regard se tourna vers Corbus, qui n'avait pas l'air de me calculer. J'attrapai la boite en remerciant Maitre Avison, ce qui rappela mon existence à Ravenwood, et dis :

"Puisque votre mémoire vous joue des tours, je vous laisse traduire cela. Vous vous rappelez des cours de troisième année j'espère." L'année lors de laquelle l'option runes était disponible. Mon attaque était puérile, de bas niveau comme les cours de la troisième année, mais il fallait bien s'adapter à son interlocuteur.

Je pointai les différentes arrêtes en bois. Finement dessinées le long de quatre d'entre elles, en carré, on pouvait distinguer des pyrogravures qui formaient un chemin.

ᛊᛖᛏᛏᛖ ᛒᛟᛁᛏᛖ ᚱᛖᚾᚠᛖᚱᛗᛖ ᚢᚾᛖ ᛖᚾᛁᚷᛗᛖ ᚲᚢᛖ ᛃᛖ ᚾ'ᚨᛁ ᛃᚨᛗᚨᛁᛊ ᛈᚢ ᚱᛖᛊᛟᚢᛞᚱᛖ. ᛞᛖᚢ ᛊᛖᚱᚢᚨᚢᛊ ᚾᛖ ᛊᛖᚱᛟᚾᛏ ᛈᚨᛊ ᛞᛖ ᛏᚱᛟᛈ ᛈᛟᚢᚱ ᛈᛖᚱᛊᛖᚱ ᛚᛖ ᛞᛖᚱᚾᛁᛖᚱ ᛗᛁᛊᛏᛖᚱᛖ ᚲᛁ ᛗ'ᛖᛏᚨᛁᛏ ᛁᚾᚲᛟᚾᚾᚢ. ᛚᛖᛊ ᛒᛟᛁᛏᛖᛊ ᚲᛁ ᛚᚨ ᛈᚱᛟᛏᛖᚷᛖᚾᛏ ᚾᛖ ᛊᛟᚾᛏ ᚲ'ᚢᚾ ᚨᚢᚨᚾᛏ ᚷᛟᚢᛏ ᛈᛟᚢᚱ ᚢᛟᚢᛊ ᚨᛈᛈᚱᛖᚾᛞᚱᛖ ᚨ cᛟᛟᛈᛖᚱᛖᚱ.

Il était difficile pour moi de croire que mon cher Ebenezer avait des plans pour nous deux mais cela me fit malgré tout chaud au cœur qu'il m'ait confié quelque chose. Enfin, nous ait confié. Et cela me permettait d'oublier un peu ma peine. Ce n'était qu'une diversion, une ruse de l'esprit, mais j'appréciais. J'étais sûre que nous mettre face à une énigme avait aussi ce but.

En dehors du message, il n'y avait pas vraiment d'indice au sujet du contenu de la boite. Ni vraiment de mécanisme d'ouverture évident. Je commençai à regarder et vis des écrous gravés, des feuilles, plumes, rivières stylisées, toujours gravées à l'aide d'une pointe métallique chauffée. La face du dessus contenait aussi quatre petits trous, presque alignés. Pareil à gauche, à droite, en dessous. La face avant et arrière ne comportaient que deux petits trous chacun, à l'opposé l'un de l'autre (l'un en haut et en bas, l'autre à gauche et à droite). La rivière sillonnait les six faces du cube et contournait chacun des obstacles creux, comme un cour d'eau réaliste aurait évité des collines.

Je relevai la tête et plongeai ensuite mon regard dans celui de Corbus Ravenwood. Je pensais avoir compris ce qu'Ebenezer voulait de nous. Mais je ne dis rien. Après tout, je voulais que Corbus aussi mérite son titre d(e second) élève préféré. Il pouvait se démarquer par son intelligence, il n'était pas mauvais à l'époque, après tout. Le parcours de vie qu'il avait suivi ensuite ne lui enlèverait jamais le talent qu'il avait.

Quand l'exécutaire testamentaire s'approcha des deux anciens étudiants, Corbus, à l'instar de Yudith, observa la teneur du mot. Il l'écouta murmurer la traduction et ne pu s'empêcher d'avoir un rictus avant de chuchoter "J'ai plutôt l'impression qu'il est écrit "A mes étudiants préférés puisse votre rivalité vous pousser à donner le meilleur de vous même, et à devenir ensemble, de grands experts runiques"".
La correction était minime mais faisait toujours du bien à son ego.
Evidemment, Drakenhof ne sembla pas gouter la correction et jugea bon de le comparer à un débutant de troisième année. Cette idiote était donc persuadée qu'il n'avait pas évolué depuis la sortie de Poudlard ? Elle serait surement étonnée de découvrir à quel point le temps est long en prison et comment des revues de runes peuvent devenir intéressantes.
Levant les yeux au ciel, Corbus lu cependant l'inscription sur le bois. Il se garda cependant de la lire à voix haute. Qu'elle se débrouille toute seule celle la. "Cette boite renferme une énigme que je n'ai jamais pu résoudre. Deux cerveaux ne seront pas de trop pour percer le dernier mystère qui m'était inconnu. Les boites qui la protègent ne sont qu'un avant gout pour vous apprendre à coopérer."
Il parut hésiter et relu la phrase... Se faisant la remarque qu'un accord était bizarre... C'était soit un indice, soit une faute du vieux professeur. Corbus le tenait en haute estime mais à son âge avancé, les erreurs étaient possibles.

"Les boites qui la protègent... Ce passage est étrange non ? Il n'était question que d'une boite et d'un mystère. Il y en a ensuite plusieurs et ce qui est à trouver est genré au féminin. Il a l'air bien sûr de lui sur la nature de ce qui est à trouver pour quelqu'un qui n'a jamais percé le mystère."

Pour le moment, il ne faisait pas spécialement attention à l'allure de la boite.

Moi aussi, j'avais bien observé. Mais je ne voulais pas lâcher la boite de mes mains. Qu'allait-il en faire ? La voler à coup sûr. Et il était hors de question qu'un leg qui m'a été fait (nous a été fait) revienne à lui seul. Il était sûr que la réciproque était vraie. Mais je préférais que ce soit Corbus qui finisse frustré plutôt que moi. Alors, pour inciter l'ex-taulard à me laisser poursuivre l'hommage à Ebenezer, je lui répondis :

"Je retiens surtout que peu importe le nombre de boites, il faut les ouvrir ensemble. Et ça, vous vous êtes bien gardé de le préciser. Si cela vous semble insoutenable, je peux m'en charger sans vous. J'ai des étudiants brillants qui rempliront la part "coopérative" du défi. Je vous enverrai un corbeau avec les résultats."

Inconsciemment, j'avais replié mes bras pour rapprocher la boite de mon corps. Je la tenais à deux mains. Personne ne me l'arracherait, pensais mon cerveau. Mes doigts s'étaient placés tout seuls dans des trous, sur deux faces opposées du cube. Mais au moment de vouloir tourner le cube, je me rendis compte que mes doigts étaient collés. Je fus décontenancée quelques secondes. Cela avait dû se voir. Mais je me ressaisis. Et je souris, en me disant que le professeur était décidément taquin. D'abord le duo improbable, puis un piège enfantin... Je tendis à nouveau la boite en avant :

"Ou alors, si au plus profond de vous même, vous sentez que votre histoire est indissociable de l'héritage de monsieur Schutz, fixez bien vos doigts dans ces creux", lançais-je d'un ton de défi.

Vingt trous, un duo qui a encore tous ses doigts à chaque main, il n'était pas exclu que tous les combler puisse déverrouiller la première étape de l'énigme. Ou alors nous serions définitivement coincés l'un avec l'autre, encore un peu plus forcés de coopérer, mais pour avoir la paix cette fois.