Si pour certains la semaine avait été calme, pour d’autres elle s’était rapprochée d’une visite aux Enfers. Habituellement, les soirées de Rosa-Lina étaient sauvées par la douce présence de sa fille, de son foyer ou bien d’une sortie en ville, mais avec le test qu’elle avait proposé à Corbus, elle s’était forcée à rester nuit et jour au château de Poudlard pour remplir sa fonction d’infirmière secondaire. Ce rôle n’était pas des plus évidents puisque la plupart des jeunes sorciers qu’elle retrouvait sur le lit de l’infirmerie étaient intrépides ou désobéissants et l’angoisse d’avoir laissé sa fille seule avec Corbus ne l’avait pas aidé dans ses missions.

Heureusement, chaque lettres reçues avaient été un soulagement… quasi minime, mais un soulagement quand même. Les remarques de la part des professeurs de Soléa étaient bonnes et aucun changement significatif ne semblait avoir lieu chez l’enfant. Tous la trouvaient toujours autant éveillés, intéressés mais ils avaient surtout noté qu’elle était ravie d’être avec son père et son chat, bien qu’il lui manquait sa mère. Plusieurs soirs elle avait failli céder et rentrer, mais les lettres de Corbus - qui venaient confirmer les propos des professeurs - l’avaient fait changer d’avis. Ils avaient passé un accord et elle se devait de le respecter, surtout si rien d’inquiétant ne semblait avoir lieu.

Cependant, dimanche soir était enfin venu et Rosa-Lina ne se fit pas prier pour quitter l’extérieur de Poudlard en se changeant en un magnifique quetzal qui lui permit de rejoindre la barrière magique en quelques battements d’ailes. Une fois autorisée à transplaner, elle apparut dans le couloir de son immeuble. Récupérant sa baguette, elle se débarrassa du verrou et ouvrit la porte d’entrée de son appartement. Il n’en fallut pas plus pour Soléa qui l’appela d’une voix joyeuse.

Rosa-Lina se sentit enfin revivre. Le poids sur son cœur s’allégea et elle serra sa fille dans ses bras. Hi mi sol, tu m’as tellement manqué. Jamais elle ne passait autant de temps sans la voir. Si je pouvais je t’accrocherai à moi ! Dit-elle en riant et sa fille s'agrippa à elle tel un koala pour surenchérir. C’était bien avec papa ? Ouiiii !! Rosa-Lina embrassa la joue de sa fille et la reposa au sol. C’était trop bien ! Mmh… adorable. Marmonna Rosa avec ironie, chose que sa fille ne pouvait relever. Viens écouter l’histoire maman ! Dit la petite fille en faisant demi-tour.

Rosa-Lina qui avait encore échappé au regard de Corbus prit une grande inspiration. Elle rêvait mieux qu’un dimanche soir en compagnie du père de sa fille. C’était plus fort qu’elle, elle était encore incapable de se détendre en sa compagnie et savoir qu’il était juste ici, de l’autre côté de ce pan de mur suffisait à réaccélérer son rythme cardiaque. Après cette semaine qui s’était visiblement déroulée à merveille - bien qu’elle souhaitait obtenir plus de détails - elle savait qu’elle devrait baisser davantage les armes. C’était horriblement frustrant pour Rosa, mais ni elle, ni un quelconque tribunal ne pourrait éloigner Corbus de sa vie.

Se revêtant de son masque d’indifférence, encore et toujours sur la défensive, elle se débarrassa de sa veste et fit les derniers pas qui la séparaient du salon où il attendait, impassible. Bonsoir Corbus. Comment vas-tu ? Demanda-t-elle par fausse politesse, simplement parce qu’ils étaient observés par les yeux curieux et brillants de leur fille. Qu’il soit heureux ou au bord du gouffre ne l’intéressait pas et elle ne lui laissa même pas le temps de répondre. Attrapant son poignet, elle leva son bras pour lire le titre du livre que Corbus tenait dans sa main. Beedle le Barde ? Elle lâcha Corbus en feignant le désintérêt et s’installa aux côtés de Soléa. Tu sais ce que j’ai envie d’entendre, moi ? La petite répondit d’un hochement de la tête, ta semaine ! Annonça-t-elle en exagérant son enthousiasme pour tenter de convaincre la petite qui grimaça. Oh, por favor, et cette fois-ci, elle se tourna vers Corbus, ça m’intéresse.

Il était difficile pour Rosa-Lina de ne pas se sentir frustrée lorsque Soléa ne lui fournit qu’un résumé plus que succinct de sa semaine avec Corbus. N’avait-elle pas davantage d’informations ou d’anecdotes à offrir à sa mère, après tant de temps séparées l’un de l’autre ? Cependant, elle dissimula sa déception derrière un visage doux, attendrie par le sourire angélique de sa fille adorée. Papa a du mal à s’habituer à sa nouvelle vie de moldu ? Demanda-t-elle, moqueuse. Elle pourrait presque le plaindre tant elle n’aimerait pas être à sa place.

Alors, c’est tout ce que tu as à me raconter ? D’un geste lent, elle caressa les cheveux décoiffés de la petite. Ouii, c’était très bien ! Papa peut rester à la maison dis maman ? Rosa-Lina cilla un instant, mais tenta de garder le sourire, le regard figé sur Soléa pour ne pas avoir à croiser celui de Corbus et son potentiel air satisfait. On va… en discuter, mi sol. Satisfaite par la réponse, Soléa se blottit dans les bras de sa mère en se frottant les yeux, fatiguée. Il n’en fallut pas plus pour que son affreux chaton vienne s’installer sur le canapé.

Maman, papa peut raconter l’histoire ? Rosa-Lina jeta un œil à l’horloge et Soléa commença déjà à bouder face à l’hésitation de sa mère. Elle lança même un regard d’appel à l’aide envers son père et l’incita à venir s’asseoir sur le canapé d’un vif geste de la main. Ok, concéda la jeune maman qui avait n’avait pas envie de lâcher sa fille. Une histoire et puis tu vas au lit ! Voir Soléa aussi heureuse avait le don de détendre Rosa-Lina qui, à contrecœur, fit de la place pour Corbus.

Peut-être était-ce l’épuisement de la semaine qui influençait les perceptions de Rosa-Lina, mais elle trouvait la voix de Corbus particulièrement apaisante lorsqu’elle n’était pas provocatrice. Avec tendresse, la jeune femme caressait les cheveux de Soléa et écoutait le conte sans faire le moindre mouvement, de crainte de déranger sa fille qui finit par succomber à la fatigue. Corbus, en père de famille modèle, prit l’initiative de la porter jusqu’à son lit. Rosa-Lina ne s’interposa pas et s’enfonça même davantage dans le canapé pour ne pas le gêner. Elle l’observa quitter le salon, en soupirant. Las.

Pendant ce court laps de temps, Rosa-Lina se dirigea vers la cuisine pour servir deux verres d’un spiritueux trouvé dans l’une des étagères. Elle devinait la suite de la soirée, leur conversation, les barrières qu’elle allait devoir abaisser… et pour supporter cette situation, quelque chose de fort l’aiderait. D’un mouvement de baguette, les deux verres lévitèrent jusqu’à la table basse et Corbus revint à l'instant même où elle se rassit sur le canapé.

Elle nota qu’il était pressé de connaître le verdict de la jeune mère, comme si ses paroles pouvaient avoir un quelconque impact sur la situation familiale. Même si la semaine avait été catastrophique, elle n'aurait pas eu le pouvoir de le faire fuir. Rien n’était positif pour elle. C’est pour toi, dit la jeune femme en faisant glisser l’un des deux verres jusqu’à l’autre bout de la table. Elle réfléchissait - ou faisait mine de réfléchir pour gagner du temps. Tout ce que Rosa-Lina pouvait faire, c’était d’essayer de rendre la présence de Corbus moins difficile à vivre. Ils avaient passé des mois à se confronter, à se disputer ou à se provoquer. Ce soir, elle voulait jouer la carte de l’honnêteté, quitte à mettre sa fierté de côté.

Il m’a fallu plusieurs mois pour enfin ressentir… mon instinct maternel… j’étais seule et trop jeune, avoua-t-elle en se justifiant, le regard baissé vers son verre, trop honteuse et fière pour faire face au regard de Corbus. Alors que toi, tu as tout de suite aimé Soléa. Peu de temps après l’arrivée du père de Soléa, Rosa-Lina s’était mise à douter d’elle. Et si Corbus était un meilleur parent qu’elle ? Et si leur fille venait à le préférer ? Et si Soléa ne voulait plus vivre elle ? Des questions de ce genre, elle en avait des dizaines parce qu’au fond, Rosa-Lina était terrifiée à l’idée d’être remplacée par un criminel qu’elle ne portait pas dans son cœur. Corbus, ce serait égoïste d’empêcher Soléa de te voir… elle porta son verre à ses lèvres un instant. Mais comprends que je n’ai plus qu’elle. Je ne sais pas si je peux te faire confiance, ni même comment y arriver. Chacune de ses paroles, chacune de ses décisions étaient interprétées comme des tentatives de manipulation pour un but qu’elle ignorait. Rosa-Lina tentait de se persuader que ce n’était là que de la paranoïa, mais comment pouvait-elle en être certaine ?

Rosa-Lina était une bonne mère. L’entendre de la bouche de Corbus, de quelqu’un d’autre que les professeurs qu’elle embauchait, venait de lever un poids immense de ses épaules. Tous les mots qu’il employait étaient loin des moqueries, des blagues ou des provocations qu’elle avait l’habitude d’entendre de sa part. Ce soir, sa voix grave faisait preuve d’une certaine douceur que la jeune femme se surprenait à apprécier. Peut-être parce qu’elle était seule, peut-être qu’elle était fatiguée, ou peut-être parce que l’alcool était trop fort.

Merci… murmura Rosa-Lina en baissant les yeux sur son verre qu’elle porta jusqu’à ses lèvres afin de le vider d’une traite. C’est agréable de l’entendre. Afin de s’installer plus confortablement sur le canapé, face à Corbus, elle se débarrassa de sa vaisselle en la déposant sur la table basse. Mon enfance a vraiment été… eum… contraignante ? Rosa-Lina hésitait, n’étant pas certaine d’utiliser le bon terme en anglais. J’essaie de ne pas être aussi rigide que mes parents et d’ouvrir Soléa aux autres. Et… elle plongea son regard dans celui de Corbus, pour être honnête, c’est difficile. Elle ne côtoie pas grand monde à part ses professeurs, toi et moi… mais je ne côtoie pas de monde non plus. Déménager en Angleterre m’a isolé.

L’adolescence de Rosa-Lina était bien différente de sa vie actuelle. Jamais elle n’avait imaginé son futur ainsi. Ses années à Castelobruxo avaient été rythmées par une longue phase de rébellion, par de la violence, mais aussi par des amitiés, des rencontres diverses et des excursions. A cette époque, elle s’était découverte bien plus extravertie et sociable qu’aujourd’hui.

Je m’égare. Elle chassa ses paroles d’un geste de main. Son passé était un autre sujet. Tu sais, si j’avais réellement bien fait mon travail, elle t’aurait détesté avant même de te rencontrer. Dit Rosa-Lina avec ironie, presque sur un ton complice. Si elle t’a aimé dès l’instant où tu es arrivé, c’est aussi parce que tu as su t’y faire avec elle… rassure-moi, Corbus, tu n’as pas un autre enfant caché ?