La rentrée à Poudlard, c’était toujours un peu la misère. Fallait partir pour Londres, et depuis Manchester cela faisait une jolie petite trotte en voiture, parce que la maison n’était pas raccordée au réseau de cheminettes, donc il fallait partir tôt le matin pour avoir le temps de se procurer, sur le Chemin de Traverse, les quelques fournitures obligatoires pour l’année supérieure qui s’annonçait et qu’ils n’avaient pas trouvées dans le coin avant de prendre le Poudlard Express. Se lever tôt, c’était toujours un challenge pour Eliott. Mais cette année, les Owens ne passeraient pas par Londres. Alors il fallait toujours se lever tôt parce qu’il y avait de la route, beaucoup de routes, ils allaient rouler pendant des heures, pour se rendre jusque chez Arthur Digler et Adonis Evans. Ils repartiraient vers Pré-au-Lard le lendemain. Et puis Londres, Eliott y avait eu droit après son séjour à Ste Mangouste et les heures passées au Ministère pour se faire déclarer comme loup-garou. Une épreuve interminable pour son père qui n’acceptait pas le statut particulier, l’étiquette, avec laquelle son fils était estampillé “être” et “hybride” à la Section des animaux du Département de contrôle et de régulation des créatures magiques, passage pourtant obligatoire pour pouvoir continuer sa scolarité à Poudlard. Le mot "bête" avait même été utilisé par l'employé de bureau. Tout cela lui était passé un peu au-dessus au Poufsouffle.

Toujours était-il que se lever tôt, c’était un challenge pour Eliott, surtout que cette semaine avait eu lieu sa seconde transformation. Le jeune loup-garou avait fait le choix de prendre sa potion tue-loup cette fois-ci ; ça simplifiait la vie de tout le monde, même si ça ne rendait pas moins douloureuse et éprouvante cette nouvelle pleine lune. Eliott, qui était d’ordinaire un garçon calme, s’était montré particulièrement agressif et irascible des jours durant. Tout ce qu'on lui disait l’irritait, il était incapable d’avaler la moindre nourriture, et il s’était enfermé seul dans sa cabane jusqu’à la fameuse nuit où il était descendu le soir venu au sous-sol  de la petite maison. Une nouvelle facette avec laquelle son père avait dû composer, et lui aussi. Au moins sous-terre, ses hurlements étaient inaudibles pour les voisins, et la porte renforcée aux moyens sorciers et moldus tiendrait bon si les effets de la potion n’étaient pas ceux escomptés. Eliott était resté recroquevillé dans un coin de la pièce jusqu’au levé du jour où il avait retrouvé une forme humaine.

Aussi Eliott avait-il dormi durant presque tout le trajet dans la vieille carlingue vacillante de son paternel, épuisé de toutes ces émotions, le corps endolori. Il ne s’était réveillé que pour manger un morceau, un sandwich au jambon avec des cornichons noyés dans la mayo, sur le bord de la route, et s’en était retourné à ses rêves tourmentés qu'un pauvre joint ne tenait plus à distance, les yeux lourds, jusqu’à ce que le freinage de la voiture ne le réveilla à nouveau. Ils étaient arrivés. Son père descendit le premier, et Eliott resta à l’intérieur, encore engourdi, essuyant d’un revers de manche la bave qui avait coulée de sa bouche. C’était son père qui avait insisté pour qu’il discuta avec Arthur Digler. Enfin “insisté” était un bien grand mot puisqu’Eliott n’avait pas émis d’objection. Mais il n’était pas tellement emballé par l’idée, c’était surtout pour rassurer son père avant la rentrée à Poudlard. Se donner autant de mal pour aller voir des gens qui leur avaient proposé, le lendemain de cette nuit-là, peut-être par charité ou par pitié, de leur donner des tuyaux ou de l'aide, Eliott pigeait pas trop. Un échange par lettres aurait suffit pour lui, mais son père avait anticipé que le Poufsouffle ne s'y tiendrait pas.

C’était une grande baraque, à la lisière d’une forêt, celle où il avait vécu sa première transformation, et où Arthur Digler avait failli le tuer aussi. C’était un loup-garou comme lui, mais depuis plus longtemps, et bien plus puissant. Si son mec, un auror, n’était pas intervenu, il l’aurait réduit en charpie. C’était comme ça qu’ils les avaient rencontré. Plutôt animée pour une première. Son père toqua au carreau de la portière, et il lui dit doucement à travers la vitre : Descend, fils. Alors Eliott descendit de la voiture qui grinça, et traina des pieds jusqu'à l'entrée, la main de son père dans son dos. Arthur Digler se tenait là, avec son air de voyou fatigué ; surement que la pleine lune d'il y a deux jours lui a pas fait du bien non plus. Enfin voilà, ils étaient venus. Salut. Les mains enfoncées dans les poches, la tête rentrée dans sa veste, Eliott fixait ses pieds. Et maintenant ?

Il avait une drôle d'allure ce Arthur Digler, avec sa petite moustache au-dessus de la lèvre, ses cheveux rasés courts et ses grolles de joggeur, il ressemblait aux types de la bande avec qui Eliott trainait sur le terrain vague derrière chez sa mère. Une sorte de voyou à deux balles, que vous esquivez en baissant les yeux quand vous les croisez sur le trottoir, alors qu'aucun d'entre ne représente la moindre menace -sauf à la pleine lune bien sûr. C'était rigolo parce que ils se ressemblaient tous les deux du coup, sauf que l'un des deux avait sans aucun doute passé l'âge de ces enfantillages ; est-ce qu'Eliott avait en face lui celui qu'il deviendrait à son tour d'ici à quelques années ? Peut-être. Il avait pas l'air malheureux après tout.

Eliott acquiesça d'un mouvement de tête. Il ne savait pas combien de temps ils avaient roulé, juste longtemps. Oui, ça a été ; nous avons l'habitude de faire de la route. Même si bon, là en l'occurrence, Eliott aurait préféré rester dans son lit à dormir -enfin encore plus que d'ordinaire. Son père posa sa main sur son épaule et lui emboita le pas. Marrant encore : "entrer" pour "se poser dehors". Caché sous son cache-col, le Poufsouffle sourit. Oui, ce sera très bien. L'intérieur de la maison, où en tout cas ce qu'il en vit, était décoré avec goût ; enfin pas à son goût à lui, mais il se dit que c'était sûrement ça "avoir du goût". Il planait ici une odeur florale entêtante ; c'était le parfum de Adonis Evans -il devait mettre la dose tous les matins pour imprégner les murs comme ça. C'est chaleureux chez vous, dites donc.Ce qui était bien avec son père, c'était qu'il faisait généralement la discussion tout seul, et qu'Eliott n'avait à s'embarrasser avec ça. Je ne dirais pas non à une bière. Eliott ? Le jeune sorcier haussa les épaules. Humm. Son père sourit et regarda Arthur Digler en hochant de la tête, pour traduire un "c'est un oui".

Le couloir traversé, ils débouchèrent à l'arrière de la maison. Un vaste espace qui bordait la forêt. Il faisait beau, le soleil qui était à son zenith filtrait à travers les branches des pins et dissipait les dernières gouttes de rosée qui avaient tardé à l'ombre. Ouah, c'est un chouette endroit ici. Pas faux, plutôt cosy le coin, et pratique  aussi quand on se transformait une fois par mois en loup sanguinaire. Owens père et fils firent quelques pas dans le jardin ; une sphère blanche et brillante attira l'attention du Poufsouffle. Eliott tomba sur un ballon de foot oublié dans l'herbe. Enfin oublié, vu qu'il était encore bien gonflé, il ne devait pas être si oublié que ça. Le jeune sorcier arracha le ballon à son écrin végétal d'un geste habile du pied, et sans se faire prier, fit une passe dynamique à son père. Olà ! Le paternel fit usage de la main pour rattraper la balle qui autrement aurait filée dans la forêt. Faute, dit sobrement Eliott en le pointant du doigt.

Les deux invités, ballon sous le bras pour l'un, se rapprochèrent de Arthur Digler, qu'Eliott fuyait toujours du regard. Et maintenant ? Eliott ne savait pas trop quoi dire ou quoi demandait. Ca l'embarrassait et lui demandait un effort qu'il avait du mal à consentir. Son père, qui le connaissait comme s'il l'avait fait -ahah..., entreprit de parler pour lui. Merci beaucoup de nous recevoir, Arthur. Eliott, de ces yeux cernés de noir, fixait l'orée du bois qui scintillait dans la lumière. Bon, j'préfère être franc pour nous faire gagner à tous du temps, alors si jamais j'dis un truc qui vous plait pas, hésitez pas à me l'dire hein. Il était comme ça son père, il parlait franchement, cash, mais avec un fond d'attention pour la personne qui pouvait recevoir ses mots comme un potentiel uppercut. Est-ce que ça va toujours le mettre dans un état pareil ? J'veux dire, même avec la potion tue-loup cette semaine a été très pénible pour Eliott. Il est tenu de garder tout ça secret pour continuer sa scolarité à Poudlard, mais honnêtement, j'sais pas comment ça peut être faisable. Ses copains vont forcément remarquer la différence. L'adulte se frotta sa barbe de trois jours. 'fin comment vous gérez tout ça vous ? Vous avez des conseils, des astuces, des remèdes... ? Il faisait beau aujourd'hui encore ; les nuages blancs couraient dans le ciel bleu.

Faisait plaisir, faisait plaisir... Eliott pouvait honnêtement se demander si Arthur Digler était sincère. Après tout, il avait sans doute autre chose à faire que de perdre son temps avec les deux blaireaux qu'ils étaient, son père et lui, par ce bel après-midi. Sûrement qu'il avait pitié. Oui voilà, Arthur Digler devait avoir pitié de lui et se sentir obligé, après qu'il ait faillit le zigouiller il y a un mois, de jouer les gentils samaritains. Cela ne vexait pas Eliott, ce n'était vraiment pas le genre de la maison, mais ça l'attristait un peu cette situation, et renforçait son envie d'être loin d'ici, peinard, malgré le calme qu'inspiraient les lieux. Comme les deux autres, Eliott porta sa bière à sa bouche, et le goût amer qui pétilla contre l'intérieur de ses joues lui donna l'impression de se réveiller un peu. Alors que la discussion commençait, le Poufsouffle, jusque-là recroquevillé dans sa veste, se redressa très légèrement.

Et la sentence tombait. Pour la deuxième fois. Parce que la médicomage avec qui ils avaient pu parler à Ste Mangouste avant de partir le lui avait déjà dit. C'était pas les mêmes mots, et malgré son professionnalisme, il y avait eu chez elle un désir de ménager le jeune sorcier qui venait d'être maudit, peine que ne prenait pas Arthur Digler ; et c'était temps mieux. Comme son père l'avait dit, il ne fallait pas chercher midi à quatorze heures, et les faits étaient là. Eliott allait douiller sa race à chaque pleine lune. Il but une deuxième goulée de mousse, ne laissant pas transparaitre le dépit que ces mots renouvelaient en lui. Mais fallait voir le positif, parce qu'apparemment il y en avait : il allait s'habituer. Quand ? Aucune idée. Mais il allait s'habituer puisque Arthur Digler disait qu'il allait s'habituer. Décidément, il n'est pas une chose sur Terre à laquelle l'Homme ne peut pas s'habituer. S'en aussi rassurant que désespérant. Le Poufsouffle n'avait qu'à prendre son mal en patience alors, c'était bien cela ? Ça tombait, il s'avait faire ça ; attendre. Les yeux noirs du garçon fleurtaient au niveau du menton de l'autre lycanthrope, trop intimidés pour aller plus haut.

Son père se passa une main sur le visage, puis dans les cheveux, et cette main revint se poser sur l'épaule d'Eliott. Elle était chaude, et elle sentait fort le tabac.Donc ça ne va pas calmer les douleurs de la transformation... Beh non, comme elle l'avait déjà dit la dame. Et il va être lucide toute la nuit alors ? C'est pas juste un calmant ? Eliott peut entendre dans la voix de son père une vibration, celle qui lui indiquait qu'il venait de percuter. La dernière pleine lune, celle de cette semaine, son fils l'avait passée prisonnier sous les poils d'un loup, enfermé dans la cave. Toute la putain de nuit. Le regard du vieux avait changé, et il s'y déroulait tout le film de ce que cela avait du être pour Eliott, pour ses nerfs, pour son corps. T'inquiète pas, j'ai juste dormi dans un coin de la pièce. C'était pas vrai. Ça avait plus était comme une insomnie interminable. Cette nuit-là avait été affreuse et terriblement déstabilisante ; il en portait encore les stigmates quelques jours après. Mais il voulait qu'il s'inquiète, c'était inutile, parce que ce serait toujours comme ça, pas vrai ? Et puis tout n'était pas si terrible si le seul remède était le repos ! Eliott se reposerait. J'ai essayer de trouver s'il n'existait pas d'autres remèdes, mais à part la potion tue-loup... Vous savez où en sont les recherches actuellement ? Eliott ne nourrissait aucun espoir particulier. Si rien n'avait été découvert depuis des siècles, pourquoi soudainement y aurait-il du nouveau ? Ça servait à rien de se faire du mal en espérant quelque chose de vain.

Son père hocha la tête, lentement ; il semblait avoir pris soudain un coup de vieux. Du côté du secret, au moins, le tableau n'était pas si noir. Eliott n'a pas vraiment d'ami, donc... Il vaait dit qu'on parlait cash non ? Peu de chance que qui que ce soit remarque ce genre de symptôme, donc ; surtout que le Poufsouffle avait déjà tout le temps l'air fatigué. Ce sont plus ses camarades de chambre qui pourraient remarquer ses absences. Et ils ne nous ont pas encore donné tous les détails à Poudlard sur comment ils comptaient gérer ses... crises. "Crises? Pourquoi pas... De la potion tue-loup, et au cachot, chuchota Eliott. Son père pâlit encore un peu plus, et sa main serra son épaule. Eliott le sentait à bout de nerfs. C'était peut-être le moment de prendre le relais ? Il se répéta donc. Une potion tue-loup par mois, et la nuit au cachot, pour me surveiller. Voilà ce qu'ils leur avaient dit. Enfin, pour veiller sur moi. Il y avait une pointe de sarcasme, vraiment très légère, que la nuance dans la formulation choisit par l'école avait d'un peu hypocrite. Il s'agissait de protéger les élèves de lui, et non pas de le protéger lui. Son père avait siffler sa bière et s'était levé. Il ne digérait pas ce protocole, mais était bien incapable de proposer autre chose alors... Je... Je vais... Il indiqua le jardin, et s'éloigna un peu pour essayer de retrouver un peu de consistance après avoir donner une petite tape das le dos de son fils.

Eliott ne s'était pas figuré que, depuis ce putain de mois de juillet, son père ne dormait plus vraiment, et ne mangeait plus beaucoup, miné par le stress et l'angoisse, un peu comme lui, les douleurs en moins. Un silence s'installa entre les deux lycanthropes. Eliott termina à son tour sa bière sous les rayons chauds du soleil qui perçait les nuages. Comme motivé par cette douce chaleur de fin d'été, le jeune sorcier regarda enfin Arthur Digler. Tu joues au foot alors ?

Eliott écoutait d'une oreille sans être vraiment là ; enfin il était là, il écoutait, mais son attention était ailleurs. Elle se promenait librement depuis les laboratoires médicomagiques dans lesquels il s'imaginait des médicomages travaillant sur un quelconque remède à défaut que cela exista vraiment jusque dans les cachots du chateau de Poudlard où il passerait au moins une nuit par mois pour les deux prochaines années ; peut-être lui laisserait-on le droit de s'aménager un petit coin avec un tapis, un plaid et une gamelle d'eau. Le cynisme de Arthur Digler lui fit hausser les épaules. A quoi bon ? A quoi bon s'offusquer ou être outré s'il n'y avait rien à y faire ? Surement que la direction faisait du mieux qu'elle pouvait, oui voilà, tout le monde faisait comme il pouvait. C'était pas comme si on l'enfermait tout le temps ou qu'on lui faisait porter un collier anti-aboiement... C'était la vie, même si c'était naze.

Voir son père se mettre dans tous ces états pour un truc pour lequel il pouvait rien faire à part juste s'inquiéter, ça le rendait un peu triste Eliott. C'était un perte de temps de se torturer avec tout ça ; fallait prendre le choses comme elles étaient même si c'était merdique. C'était pas comme s'ils avaient le choix. Fallait pas se laisser emmerder pas un truc pareil sinon... sinon... sinon c'était quoi la suite ? C'était quoi l'avenir ? Eliott savait pas quoi lui dire. Il avait un goût amer dans la bouche et les yeux pleins de fatigue. Il le laissait s'en faire. Eliott bailla. L'odeur de tabac lui chatouilla le nez comme une promesse de détendre ces neurones un peu tordus par l'épuisement qu'avait générée la nuit et les derniers jours. Il acquiesça en lorgnant sur le paquet et se disant qu'il avait bien une tête à taper le ballon rond, Arthur Digler.

Son moov de rapprochement lui fit lever les yeux. Hum. Le Poufsouffle loucha sur la cigarette. C'était quoi ça ? Pascal le grand frère ? Il se la jouait bro pour gagner sa confiance ? Docile, Eliott répondit mollement : ça va ; fatigué. Comme on pouvait aller en l'état 'fin voilà. Qu'est-ce que ça changeait à sa vie à lui comment il allait ? Ils se connaissaient pas même qu'il avait faillit le bouloter. Eliott savait pas trop quoi lui dire. Ca aurait été plus simple si tu m'avais tué. C'était dit de la manière la plus naturelle du monde comme s'il réfléchissait en même temps que de le dire. Mais comme je suis toujours vivant bah..., et que l'occasion ne se présenterait plus, ça va, mais fatigué. Eliott se gratta le nez. Il l'avait déjà dit ça non ? C'était factuel et cruel. Il n'avait pas de regret d'être encore vivant, ni de remord d'être pas mort. Ce n'était un reproche non plus. Sa vie était juste plus fatiguante encore qu'avant. Pourquoi ça t'intéresse ? Ah ça qu'est-ce qu'il était fatigué Eliott... Tu m'passes une clope steuplait ? Sa chambre sautait nerveusement sans qu'il s'en rendit compte.