[TW : violence psychologique & sexuelle] Tout tournait si vite autour d'elle.


- Tu n'as pas peur que j’entendes ?

Cette voix. Ce fut comme si le ventre d’Olive s’emplissait soudain d’une eau glaciale. Elle sentit autour de ses doigts des cheveux plus longs, et plus rien dans ses mains ne ressembla à des sensations connues. Elle baissa les yeux, de là où provenait la voix, vers la tête qui se relevait d’entre ses cuisses, le visage souillé de ce que le corps de la danseuse avait produit.
Souriant d’un air satisfait, Varga dévisageait Olive. L’affreuse surprise lui arracha un hurlement d’horreur qui claqua jusque dans le ciel.

En sueur, Olive se réveilla au creux de son lit. La migraine frappait sur son crâne comme un forgeron sur son enclume, la fièvre lui enflammait les joues, et le choc faisait trembler chaque parcelle de son corps. La fenêtre était fermée, la chambre calme, et elle, seule sur le matelas, constata qu’elle portait encore ses vêtements de la journée.

Elle voulut se lever mais ne parvint qu’à chuter sur le sol, en proie à des sanglots déchirants, la vue troublée par l’abominable cauchemar qu’elle venait de vivre. Dégoûtée et écœurée, elle fut secouée d’un violent haut-le-corps, et n’eut pas le temps de ramper jusqu’au lavabo de sa chambre. Elle vomit tout ce qu’elle put à même les planches à plusieurs reprises, en hoquetant. Quand elle arriva à bout de la bile que ses intestins essoraient, elle roula, à bout de forces, sur le sol, les cheveux en partie souillés, et ne put rien faire pour retenir ses pleurs.

A aucun moment la danseuse ne remarqua qu’elle n’était pas tout à fait seule. Restée légèrement entrouverte, la porte donnait sur le couloir sombre de l’étage, où Varga se tenait adossé, un œil avide tourné vers l’intérieur de la chambre. Il contempla Olive, sur le sol, et émit un bref rire sans joie. Il rangea dans sa poche sans fond sa baguette de tilleul argenté, dont l’extrémité, qui avait brûlé tout le temps du cauchemar, s’éteignit froidement.

[TW : violence] Il souriait, Varga, l’air aussi heureux qu’un vampire rassasié. Ses joues creuses étaient moins pâles qu’à l’accoutumée et sa démarche presque dansante. Il chantonnait dans sa gorge un petit air qui sonnait comme une moquerie. La vue d’Olive ne tarit rien de son allégresse.
- Salut la compagnie. Belle journée qui s’annonce, pas vrai ?
Il fit une petite pirouette et s'accouda au bar, tout près de la danseuse. En temps normal elle aurait tressaillit ou se serait écartée. Elle n’en fit rien. Son esprit demeura perdu dans un brouillard très épais. Varga se pencha pour la regarder et fronça les sourcils.
- Ouh la mauvaise mine que voilà. Que fais-tu de tes nuits, Olive ? Faut pas plaisanter avec le sommeil.
Ce petit jeu cruel avait l’air de l’amuser follement.
- Va falloir que je te remette sur scène un de ces jours. Mais comment faire avec ce visage fatigué ?
Il caressa la joue de la jeune fille d’un doigt maigre et froid. Elle cessa de frotter le bar.
- Le public attend de pied ferme sa petite danseuse préférée.
- Varga…
Jameso s’interrompit dès qu’il croisa le regard du chef du Jack. Ce regard qui lui disait de se taire s’il ne désirait être victime de dignes représailles. Le barman détestait cette part de lui-même qui cédait toujours au tyran Barksdale. Mais il lui était difficile de se taire face à l'accablement d'Olive.
- Elle a besoin de temps. Depuis que…
- Depuis que quoi ?
La voix de Varga avait retrouvé sa dureté habituelle. D’un geste rageur, il balaya le zinc et envoya des verres se briser sur le plancher. Il s’éloigna de quelques pas, soupira comme s’il essayait de prendre sur lui et revint vers eux, les épaules agitées de spasmes étranges. Il attrapa la chevelure d’Olive avec force. Jameso voulut intervenir mais une étincelle rouge le frappa au front et le fit tomber au sol, inconscient.
Le chef du Jack cala son menton dans le cou de sa protégée pour lui parler au creux de l’oreille. Même ses murmures avaient l’air menaçants.
- Depuis le temps tu devrais t’être faite à l’idée, non ? Hayden est mort. Tu entends ? Il est mort.
Tremblante, la danseuse avait le souffle coupé par la douleur. Varga tiqua d’agacement en l'entendant gémir.
- Quand est-ce que tu vas te rentrer ça dans le crâne ? Show must go on, ma belle. Il est temps que tu tournes la page.
Il la lâcha si brutalement qu’elle perdit l’équilibre et se rattrapa au bar. Suffoquant de peur, elle resta courbée sur le zinc, quelques larmes recommençant à couler de ses yeux exténués.

Derrière elle, le regard de Varga la détaillait par le menu. Ses chevilles toutes fines, sa taille, ses cheveux décoiffés par sa main, sa peau diaphane, et ce qu’il connaissait déjà d’elle. Son petit visage mince, ses grands yeux sombres. Même quand elle semblait au bord de l’enfer, elle était belle. Si belle.

Sans geste brusque cette fois, il s'approcha pour enlacer le dos de la jeune femme. Elle était petite, contre lui, il pouvait s'installer contre sa tête brune.
- Qu'est-ce qu'il avait de si extraordinaire ? Hein ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien t'apporter, ce jap' dégénéré ? Pendant longtemps il n'était pas là, tu savais très bien vivre sans lui.
Il avait le satisfaisant sentiment qu’il aurait pu l’engloutir de son corps. Les bras enroulés autour de ses épaules, il caressa de sa peau ce qu’il put en atteindre.
- A une époque il n'y avait que toi et moi, Olive.
Il parlait d’un ton vulnérable, presque infantile.
- Pas besoin de lui.
Il en allait ainsi depuis des années : Olive était à lui, c’était sa danseuse, sa petite sang-de-bourbe qu’il gardait au fond de sa poche. Personne au Jack n’avait jamais eu le droit de lever la main sur elle, ni le doigt. Personne sauf lui, Varga, le chef de l’organisation. Elle était à lui, elle était sa perle.

Et dans ses bras Olive se mit à rire.

[TW : violence physique et verbale] La voix déjà cassée d’Olive mourait dans sa gorge tant elle hoquetait de rire. Son petit torse, courbé vers l’avant, s’écrasait comme un soufflet actionné trop rapidement. Ses yeux tiraient des larmes sans peine et sans joie. Varga, qui la tenait toujours contre lui, resta muet de sidération. Au bout d’un moment, Olive balança la tête en arrière. Une expression oscillant de folie à désinvolture se lisait sur son visage, barré d’un sourire qui dévoilait toutes ses dents.
- C’est donc ça. Pas besoin de lui, parce que tu es là toi.
Elle fit volte-face. Le nez sous le visage du mage noir, qui la vit s’accrocher à son cou de deux bras mollassons.
- Comme au bon vieux temps, pas vrai ? Quand il n’y avait que le Jack, toi et moi. C’est ça qui te manque, hein, Varga ?
Chacune de ses phrases était ponctuée d’un rire qu’elle ne maîtrisait pas et qu’elle ne faisait pas l’effort de contenir.
- Par les couilles de Merlin, ça y est. Tu es bonne pour Sainte-Mangouste.
Varga respirait la menace de la voix jusqu’aux yeux. Pourtant Olive continuait de minauder dans ses bras. Qu’est-ce qu’elle lui faisait ? Ça ne l’amusait plus.
- Le chef du Jack ne comprend pas, chantonna la petite danseuse, il ne voit pas ce que la p’tite Olive peut bien trouver à Tuszy. Pourquoi le chardon l’a piquée, quand elle s’en est approchée ?
Elle lui parla de si près que Varga pouvait sentir son souffle sur son menton.
- C’est de l’amour.
Violemment repoussée en arrière, le corps d’Olive valdingua jusqu’au bar où elle se cogna le flanc. Un craquement sec se fit entendre. Elle devait avoir deux côtes cassées mais n’y prêta aucune attention. Elle ne riait plus, et si les yeux de Varga luisaient de colère, c’était l’enfer qui s’était allumé dans les siens.
- Tout ce qui se passe sous ton nez, sans que tu n’y puisse rien... Ce que me fait Hayden, et ce que je lui fais, ça s’appelle aimer. Tu sais ce que ça veut dire aimer, connard ?
- Méfie-toi Olive, répliqua Varga d’une voix plus basse que le murmure de la mort. Tu n’es pas intouchable, si je…
Elle se remit à rire si fort qu’elle n’entendit pas la fin de sa phrase. Pas besoin, elle la connaissait. Ses côtes secouées de spasmes la déchiraient de douleur.
- Ça ! Tuszy l’avait bien remarqué ! Il lui suffisait d’attendre que tu sois parti pour s’emparer de moi. Ou on partait, quand tu étais trop là, on filait ailleurs et loin. Et même parfois, quand tu étais là, il me faisait… et moi, je le laissais faire, et par tous les dieux, ce que c’était bon !
La gifle qui la déséquilibra claqua dans l’air plus sèchement qu’un fouet sur le dos d’un Abraxan. Elle eut le souffle coupé un instant, mais ce fichu sourire qui agaçait tant Varga ne quittait toujours pas son visage. Il l’attrapa à la mâchoire d’une main crochue, crispée par la haine. Il voulait lui broyer les os.
- Ça te dérange ? articula Olive au travers des doigts maigres qui laisseraient des sillons bleus sur sa peau. Pourtant c’est bien ce que tu aimerais me faire aussi, non, avec tous ces rêves que tu m’as fait faire ? Pas vrai ? Toutes ces fois où tu as voulu prendre sa place ?
- Ferme-la.
- Je sais que ce n’est pas ce que tu cherches, Varga. Baiser, t’aimes pas ça et t’en es pas capable.
Elle recommença à rire.
- Sinon c’est dans la vraie vie que ça serait arrivé tout ça. Pas d’image dans la tête, non, que de la chair, des cris et du sang, des jambes en l’air !
- TU VAS FERMER TA GUEULE, ESPECE DE SALOPE DE SANG-DE-BOURBE !
Le chef du Jack la jeta au sol, dans un autre craquement. Roulant sur le parquet, Olive tourna mollement son visage vers Varga, sans avoir la force de se relever.
- Minable seau de merde de scroup, marmonna-t-elle, encore ivre de rire. Pauvre salopard de tortionnaire, même une demi-molle tu sais pas ce que c’est. Alors pourquoi tous ces rêves ? Tu voulais pas que je crie ton nom à la place du sien, t’en as rien à foutre de tout ça.
- Assez.
Barksdale saisit Olive par le col. Elle resta au sol, comme une marionnette désarticulée qui ne pendait plus qu’à un seul fil.
- Tu es à moi, dit Varga, penché au plus près du visage de la danseuse. Tu es ma chose. Tu l’as toujours été.
Des larmes épaisses roulèrent sur les pommettes d’Olive. Son sourire ne montrait plus ses dents.
- Celui qui ne peut aimer est jaloux. C’est minable...
Elle ferma les yeux, alors que le chef du Jack serrait petit à petit ses doigts autour de sa gorge. A côté d’eux, Jameso s’agita un peu.
- Allez vas-y serre, sale enfant de pute. Dépêche-toi de me buter. La vie sans lui ne m’intéresse pas.
- Avec plaisir, fille de chienne. Si ta seule ambition était de lui servir de vide-couilles, en effet, tu ne m’es plus d’aucune utilité.
Et elle souriait toujours. Une haine aveugle et sourdre bombardait l’esprit de Varga. Il ne désirait plus que la voir morte. Il tira sa baguette de sa manche et la pointa vers l’insolente qui se payait le luxe de se moquer de lui, dans ses derniers instants.

Il voulut dire la formule. Il la connaissait par cœur, il était même capable de la lancer informulée, tant l’art du meurtre magique était devenu simple pour un cœur pourri comme le sien. Mais Varga, devant les grands yeux d’Olive, ceux-là même qui suitaient de mépris pour lui, se trouva incapable d’aller au bout de son geste. Il tint quelques instants, tâcha de se reprendre, mais son cœur s’apaisa. Sa haine se tarit, ses muscles se détendirent, et doucement, il relâcha son emprise cruelle.

C’était terminé.

Retombée au sol, Olive fixait Varga avec une intensité brûlante. Le mage noir se mit à trembler, comme s’il luttait férocement contre lui-même.
- Je… je ne peux pas.
Il prit son visage entre ses mains. Cela ne se pouvait. Jamais il n’avait reculé devant la mort. Il avait perdu trop de parts d’âmes pour être pris soudain de scrupules, ou de remords. Mais la magie ne fonctionnait pas. Elle ne fonctionnerait pas.
- Qu’est-ce que tu m’as fait ?
Olive le contempla, incrédule. Il la frappa à nouveau au visage, à plusieurs reprises.
- QU’EST-CE QUE TU M’AS FAIT, NOM DE MERLIN DE MERDE ?!

[TW : violence physique et verbale] Le cabinet de Fortuna Zeonys se situait dans un des recoins les plus sombres et puants de l’allée des embrumes. Le genre d’endroit où même les sans-abris déterminés à mourir ne venaient pas s’égarer. Cet environnement peu avenant était la garantie pour l’alchimiste noire d’obtenir la denrée la plus rare à l’exercice de son art : la paix. Quiconque s’aventurait par ici était soit un client intéressé par ses services, soit quelqu’un de complètement insane. Curieusement quand on travaille dans l’ombre, moins on a pignon sur rue, plus on est pris au sérieux. Et ce n’étaient pas les nombreuses années de pratique qui avaient détrompé la vieille Fortuna, qui passait ses journées courbée dans son atelier sinistre, à faire les sales besognes qu’on lui commandait. La dernière en date avait été de transformer un métal lourd en un poison indétectable. Le résultat l’avait faite frissonner de fierté.

Ce jour-là, la porte du laboratoire s’ouvrit à la volée, dans un tel fracas que bien des fioles et bibelots utiles à l’art de l’alchimie, entassés un peu partout, avaient chuté sur le sol. Fortuna ne fronça qu’un peu le sourcil, en se tournant vers l’auteur du désordre.
- Varga Barksdale, croassa la vieille alchimiste dans un sourire aux dents jaunies par le tabac. Quel bon vent t’amène dans mon humble boutanche ?
Elle avait parlé mielleusement au mage noir, dans un état de colère qui le crispait à en souligner détestablement sa maigreur. Il serrait la mâchoire comme un scroup enragé et ses yeux, fous à lier, semblaient vouloir jaillir de ses orbites à tout instant. Au bout de sa main pendait par les cheveux une belle jeune femme, tenue avec autant de ménagement qu’un sac de navet du Pérou. Le sourire de Fortuna s’élargit.
- Tu es venu accompagné, comme c’est charmant.
Varga pénétra à grands pas dans la boutique, en traînant Olive à bout de bras qui ne parvenait à rester debout, et sans se soucier de tous les objets renversés sur son passage. Il leva le poing pour porter le visage grimaçant de douleur de la jeune femme à hauteur de la vieille alchimiste.
- Je veux que tu trouves ce que cette salope m’a fait.
Il fulminait d’une rage indescriptible. La petite se débattait, mais la force de Varga, portée par sa haine, ne lui céda aucun répit.
- Comment veux-tu que…
- Ta gueule vieille harpie, éructa le chef du Jack, la bouche pleine de postillons. Je sais pas comment elle s’y est prise, mais elle m’a fait quelque chose. Je le sens.
Il lâcha violemment Olive, qui roula sur le sol, à bout de forces et écrasée par la douleur de ses cotes cassées. Fortuna ne lui adressa pas le moindre regard, toute son attention portée sur son visiteur, comme un animal serait prudent face à un prédateur.
- Quel est le problème ?
Varga alla s’asseoir sur une caisse qui traînait derrière lui. La mine fermée, il posa son menton derrière ses mains jointes, tandis que ses jambes tremblaient sous ses coudes. La nervosité qui s’emparait de lui était paroxystique.
- Il y a certains sorts que je ne peux pas lui jeter, répondit-il d’une voix rauque et étranglée. Ou plutôt que je ne peux plus lui jeter. Mais il n’y a qu’avec elle que…
Il passa une main de son front en sueur jusqu’à ses cheveux gras. Sa respiration était saccadée comme s’il était sur le point de se mettre à hurler.
- Il n’y a qu’avec elle que le problème se manifeste, compléta Fortuna, les bras croisés en dessous de son menton fier. Pourquoi chercher une cause magique ? Habituellement Varga, on a du mal à blesser les gens qu’on aime.
Le chef du Jack secoua vivement la tête. Ses yeux où bataillaient la rage et la peur ne descendaient jamais vers Olive, qui gémissait sur le parquet vermoulu.
- Rien à voir. Avant, ça n’arrivait pas. Avant que tout ça ne se produise, il n’y avait jamais eu de… Je n’avais jamais hésité. Avant qu’il…
Varga se refusait de l’admettre. Jamais il n’avouerait que c’était depuis que ce chien de Waclaw avait pris une telle importance dans le cœur d’Olive que sa magie noire avait montré des signes de faiblesse.
Il osa un regard vers Fortuna, qui le toisait de toute sa morgue.
- Bien. Je sens que tu ne me lâcheras pas tant que je ne t’aurai pas donné satisfaction. Je vais procéder à des examens. Mais je te préviens, çasera tout sauf gratuit.
- Tout ce que tu voudras.

Fortuna leva sa baguette magique pour clore et verrouiller la porte de son atelier. Elle enjamba Olive pour aller chercher du matériel et commença par se tourner vers Varga. Elle se mit aussitôt au travail.

[TW : violence physique et verbale]Quand Zeonys revint dans la boutique où le chef du Jack tournait en rond comme un malade dans un asile, elle affichait un sourire tout à fait déplaisant.
- Cher, cher Varga, miaula-t-elle de sa voix nasillarde. Je te remercie pour ce cas des plus passionnants. Il est rare que j’aie à me pencher sur une pareille curiosité.
Varga cessa de trembler et entra dans un état de complète stupeur. Il avait vu juste, cette petite salope lui avait jeté un sort.
Si cette perspective n’était pas aussi terrifiante, elle aurait forcé son admiration.
- Qu’est-ce qu’elle m’a fait ? aboya-t-il d’une voix tremblante de colère et d’incrédulité. Qu’est-ce que cette sang-de-bourbe a réussi à m’infliger ?
- Tu vas avoir du mal à me croire mais ta petite protégée n’est pas tout à fait humaine.
Une jubilation malfaisante scintillait dans les yeux de l’alchimiste noire, face au désarroi de Barksdale qui s’en allait grandissant. Le sourire de Fortuna s’élargit et un petit rire s’échappa de ses lèvres fanées.
- C’est une petite vélane.
Varga eut l’impression que son corps chutait dans le vide.
- Impossible. Tu mens.
Il recommença à faire les cent pas, les doigts agrippés à ses cheveux graissés par le stress. Ses yeux écarquillés et injectés de sang lui donnaient l’air d’un fou furieux. Fortuna le dévisageait, aussi amusée qu’elle appréhendait la suite – Barksdale était du genre explosif. Le voir maugréer dans sa mâchoire serrée avait quelque chose de pathétique.
- Du venin, oui, c’est du venin qui sort de sa bouche. Elle doit mentir, elle doit dire ce que son esprit malade lui murmure, cette harpie décharnée.
- Tu doutes de mes résultats ?
La voix de Zeonys gronda dans l’atelier, et aussitôt, Varga se jeta sur elle pour la saisir à la gorge. Le souffle coupé, elle émit quelques râles de douleur tandis qu’il hurlait à lui cracher sur le visage.
- Dis-moi la vérité, vieille face de merde, dis-moi ce que tu caches ! Ah ! Tu croyais te jouer de Varga Barskdale, la lui foutre à l’envers ? Tu voulais le prendre par surprise ?
Les mains de Fortuna tiraient sur les poignets de Barskdale avec l’énergie du désespoir. Dans ses lèvres violacées palpitait un sang épais.
- Ce que je dis est vrai, râla-t-elle avec difficulté, tous les tests sont formels... Observe, plutôt...
Elle sortit de sa poche, d’une main tremblante, une fiole minuscule qui contenait un liquide d’une couleur argentée très éthérée, semblable à la lumière de l’astre lunaire. Varga s’en empara avec violence, laissant Zeonys s’effondrer sur le sol dans un fracas qui fit trembler le bric-à-brac de l’atelier. Elle reprenait bruyamment son souffle tandis qu’il inspectait, avec la plus grande circonspection, le résultat du travail de l’alchimiste.
- C’est un échantillon de son sang, dit-elle de sa voix éreintée.
Elle souffla comme un bœuf en peine, avant de poursuivre.
- Comme aucun élément extérieur n’expliquait ton problème, la solution devait se trouver en elle. J’ai tout analysé. Sa peau, ses cheveux, son sang. Tous les tests ont même conclusion : cette gamine est une hybride. Mi-sorcière, mi-vélane.
- Non, non, non, c’est impossible, souffla Varga avec hébétude. C’est une née-moldue. Tu entends ? Une petite sang-de-bourbe que Jared a ramassé dans un caniveau.
Fortuna lança un regard de félin qui chasse.
- Je suis formelle. Navrée, chef du Jack.

Varga jeta la fiole à l’alchimiste et traversa la pièce de deux enjambées. Au bout du corridor plongé dans la pénombre se trouvait le laboratoire de Zéonys. A l’intérieur bouillonnaient des potions aux vapeurs douteuses, de couleurs aussi variables qu’inquiétantes, au beau milieu d’une multitude de bibelots nécessaires à la pratique de l’alchimie. Une grande table se trouvait au centre de la pièce, sur laquelle reposait Olive, épuisée par les tortures de Fortuna.

Varga s’approcha d’elle avec la méfiance d’un animal face à son prédateur. A la voir inconsciente, à sa merci, il se sentit puissant, capable de venir à bout de celle qui avait eu raison de son habileté à pratiquer la magie noire. Mais alors qu’il la menaçait de sa baguette, sa détermination à la tuer se dissipa quand il contempla son visage.

Une vélane.
Cette gamine était une putain d’hybride.

C’est ça qui t’a plu chez elle Hayden ? C’est pour ça que tu t’es jeté corps et âme à ses pieds ? Elle t’avait dans sa main, comme moi, cette petite garce sans intérêt ?

Et malgré les pensées fielleuses qui bourdonnaient dans son crâne, Varga contemplait Olive avec la morgue d’un gardien dévoué à une divine maîtresse.